La question de la responsabilité environnementale et sociale est encore peu abordée dans les formations d’école de mode. Entre collections capsules anecdotiques et campagnes de communication massives à la sémantique floue remplie de greenwashing, les jeunes générations de créatifs se heurtent à une réalité du marché quelque peu ardue, lorsque l’intention est d’insuffler des valeurs de durabilité dans les maisons de couture. Studio Lausié, est une école de mode alternative et engagée lancée en 2021, une des rares à former concrètement ses étudiant·e·s aux vrais enjeux. Fondée par Marion Lopez, installée à Marseille, il est l’un des établissements les plus aboutis dans l’enseignement des outils et savoir-faire pour les jeunes stylistes, plaçant au centre des processus créatifs l’éco-responsabilité et l’inclusivité. Le 20 mai 2023, le Studio Lausié nous convie à leur grand défilé annuel de fin d’étude. Une belle occasion d’admirer la fièvre créative et le travail unique de 90 créations, réalisées par les 18 élèves talentueux·ses, avec en prime, une soirée en compagnie de Dj Kheops, membre emblématique du groupe IAM. Rencontre avec Marion, fondatrice de l’école.
À la genèse de la première école de mode écoresponsable du sud de la France
Comment répondre à un manque de formations en phase avec les préoccupations d’urgence sociale et environnementale ?
Après une quinzaine d’années dans le milieu de la mode, notamment dans la production, Marion a pu voir de ses propres yeux la manière dont nos vêtements sont conçus, notamment en Inde, en Chine, ou encore Vietnam. Alors qu’elle est totalement intégrée dans ce milieu, elle ressent un malaise à contribuer à l’une des industries les plus polluantes au monde. Au fil de ses missions et sans perdre de sa passion, bifurque vers l’upcycling puis la transmission de ses valeurs et de ses connaissances, jusqu’à une épiphanie : ouvrir sa propre école de mode, inclusive et accessible à tous·tes. Elle s’établit alors à Marseille ouvre les portes de Studio Lausié dès le mois de juillet de 2021.
Je pense que je répondais à une demande qui, étonnamment, existe très peu et continue d’être rare
Le bilan après 2 ans de Studio Lausié
En à peine deux ans d’existence dans le domaine, la fondatrice de l’établissement est fière de constater l’attraction pour ces formations. En formation courte ou sur un an, elle accueille dès la première année 6 élèves en parcours initial. Malgré les nombreuses candidatures et un nouvel immeuble plus grand, Marion souhaite conserver la taille humaine de son école. La plus grande victoire : chacun·e des étudiant·e·s a rapidement été recruté·e dans sa spécialité après son diplôme.
Je souhaitais que mes formations soient différentes de la vision élitiste de ce milieu
Pourquoi la RSE est-elle si importante pour évoluer dans ce milieu ?
Quel regret de constater qu’après une brève vague de modèles de tous genres, toutes couleurs, toutes morphologies, les mannequins blancs et longilignes reviennent en force.
La RSE est enfin prise au sérieux par le monde de la mode. Du moins, on note une certaine progression de la part de grands acteurs, mais il reste peu nombreux. Concernant l’inclusivité, la mode manque réellement de considérations concrètes, tant dans la communication, que la conception des patronages, jusqu’aux mannequins choisies pour les défilés. Ainsi, selon Marion, le seul moyen d’espérer une industrie de la mode plus durable est de former dès le départ les jeunes créateur·ice·s à cette vision.
Cela peut paraître saugrenu mais, j’ai pu dire à mes élèves que même si l’on travaille uniquement sur l’éventualité de lancer sa marque responsable, le plus judicieux est de n’en créer aucune nouvelle.
Pour marion, il semble plus pertinent de participer à la transition de l’industrie par l’apport de nouvelles pratiques plus durables chez des grandes marques déjà existantes, que de lancer une énième marque qui fera mieux que la fast fashion, mais dont l’impact positif restera limité.
Sur l’inclusivité et de changer la perception des corps, Studio Lausié avec Charlène Damus, créatrice du bureau d’études morphologiques CDAMS Lab à Paris, sur le sur-mesure qu’elle adapte à toutes les grilles de tailles et de formes de corps possibles.
Les conseils pour les marques de mode qui veulent faire mieux avec peu de moyens ?
Si on veut faire du made in France, l’investissement est coûteux et les ateliers sont rares. Pour l’upcycling, on peut être limité en termes d’unité. Marion recommande tout d’abord de prendre le temps de faire un constat sur les matières, textiles et objets que l’on peut observer dans son environnement proche. Il faut alors faire le bilan de ce qui peut être récupéré, réemployé, voire détourner ces trouvailles. Il serait plus pertinent de se concentrer tout d’abord sur une pièce phare et de l’adapter selon les matières disponibles et l’identité exprimée que l’on souhaite retranscrire au travers de sa marque. Tout est possible, de la ceinture de sécurité, en passant par la bâche de bateau ou encore des napperons de nos grands-parents. De plus, d’un point de vue plus mercatique, ces méthodes de fabrication sont fortement différenciantes.
Pour assister au défilé de fin d’année, le 20 mai 2023, au Hangar Belle Mai, à Marseille, c’est juste ici
Quelles ont été les règles imposées aux jeunes créatifs ?
Chez Studio Lausié, Marion ne souhaite pas brider la vision stylistique de ses élèves. Aucun thème n’a été imposé, mais les élèves doivent tout de même prendre soin de composer leurs pièces à 90% voire 95% de matières recyclées, évidemment.
Y a-t-il une différence dans l’enseignement de la quête d’ADN de marque, comparé aux formations plus conventionnelles ?
Le processus reste semblable, les élèves s’inspirent des visites d’ateliers organisées, des musées et tout ce qui peut les toucher. Néanmoins, dès le début d’année, aux prémices de leurs projets, Marion apprécie d’orienter ses créateur·ice·s en herbe à se dispenser de l’utilisation d’internet pour leur quête esthétique, qui peut s’avérer contre-productif dans le développement d’une identité authentique et forte de la marque. Au contraire, elle les encourage, au démarrage du processus, à feuilleter des magazines d’arts d’architecture, et de mode, et de s’arrêter sur un motif, une couleur, une coupe qui les touchent.
Pour assister au défilé de fin d’année, le 20 mai 2023, au Hangar Belle Mai, à Marseille, c’est juste ici.
J’aime l’idée de faire resurgir de la spontanéité dans les concepts.
Comment les élèves doivent travailler leur patronage, notamment pour favoriser une conception prenant en compte la pluralité des corps ?
Pour inculquer les principes du modélisme, notamment par l’apprentissage de la gradation de patronage (chemise, haut, pantalon), l’école demande aux élèves de concevoir des pièces diverses, plutôt que du 38 standardisation, selon leurs propres mensurations, afin d’être sûr que ces créations ne finissent pas au placard une fois finalisées. De plus, la formation profite de l’expertise de Charlène Damus, fondatrice du bureau d’études inclusif de patronage CDAMS Lab pour développer leur compétence en modelage pour toutes les morphologies, à l’aide de CLO 3D.
Pour assister au défilé de fin d’année, le 20 mai 2023, au Hangar Belle Mai, à Marseille, c’est juste ici.
Un défilé final d’envergure et dans la mesure
Le 20 mai 2023, a lieu le tant attendu défilé de fin d’année au Hangar Belle mai, à Marseille. Grand objectif de la formation longue de Studio Lausié, l’école s’est entourée de nombreux acteurs locaux pour réduire au maximum l’impact de cet événement. Cette deuxième promotion va alors pouvoir présenter ses collections, composées de vêtements upcyclés et des matières issues de la récupération, colonne vertébrale de la création. Le défilé, composé de 90 looks, a été divisé en trois actes. Tout d’abord le retour à l’enfance, quelque chose de très nostalgique, la deuxième joue sur un monde onirique et et fantaisiste, sur les abysses les créatures et des looks non genrés, enfin le dernier sur les thèmes du workwear et sportwear. Chaque thématique sera accompagnée d’une ambiance sonore propre produite pour l’occasion par le collectif Marseillais Mosaïque. L’école a choisi comme partenaire de breuvage, Jouisseur de Saveurs, qui va proposer 3 cocktails spécialement conçus pour les trois volets du défilé.
Pour assister au défilé de fin d’année, le 20 mai 2023, au Hangar Belle Mai, à Marseille, c’est juste ici.
Une logistique qui prône la sobriété
Comment décorer un défilé en limitant son empreinte carbone ? Marion nous le dit d’emblée, le mieux est de faire peu. Pour cela, l’école a développé un partenariat avec l’association La Réserve des Arts, qui œuvre à la récupération d’installations d’évènements, tels que des expositions, des défilés ou encore le Festival de Cannes. Comme dans la conception des vêtements, Marion veut privilégier la récupération au maximum. En souhaitant mettre en avant les créations, la sobriété s’immisce même au niveau des backstages en choisissant du maquillage très léger et une crème hydratante biologique. Pour les mannequins, tous les profils ont été conviés, sans distinction d’âge, de morphologies ou de carnation.
Le programme du défilé Studio Lausié Edition 2
– 18h – Accueil des invité-e-s
– 19h – Défilé
– 20h – 22h Clôture du défilé par une soirée – DJ Kheops (IAM)
– 22h – 3h After Party dans un endroit secret en collaboration avec le collectif marseillais TWERKISTAN
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Les ambitions pour le prochain défilé ?
Pour la prochaine édition, Marion espère pouvoir développer l’envergure du défilé, notamment grâce à Bàti Bàti, un collectif engagé qu’elle a fondé avec d’autres actrices de la mode responsable à Marseille. L’ambition du groupe réside notamment dans l’organisation d’une Slow Fashion Week pour l’année prochaine, afin de mettre à l’honneur les talents marseillais qui prônent une mode solaire et engagée.
Pour assister au défilé de fin d’année, le 20 mai 2023, au Hangar Belle Mai, à Marseille, c’est juste ici.
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