[Open Editorial] Analyse de la proposition de loi contre la fast fashion, par Glynnis Makoundou

Le 14 mars 2024, la proposition de loi n°2129 visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale, après examen des nombreux amendements déposés entre temps. Glynnis Makoundou est avocate, experte du secteur de la mode. Pour The Good Goods, elle décrypte le projet : qu’implique ce texte ? Que faut-il comprendre lorsqu’on lit “la loi fast fashion a été adoptée !” ? Vivons-nous vraiment un moment historique ? 

Avant toute chose, il est utile de tempérer en indiquant que nous ne sommes qu’au début du chemin. Le texte doit maintenant être voté par le Sénat. La procédure législative accélérée d’une proposition de loi dont il est ici question implique un examen unique par chacune des chambres, avec adoption définitive si les termes restent inchangés. Des amendements peuvent être proposés à chaque étape, pouvant modifier significativement le texte. Certains amendements sont rédactionnels, tandis que d’autres peuvent affecter le sens du texte.En cas de modifications, une commission mixte paritaire est formée pour élaborer un compromis. Le Conseil Constitutionnel peut être consulté pour vérifier la conformité à la Constitution, et ensuite, le texte est promulgué.. Des décrets d’application sont nécessaires pour la mise en œuvre de certaines dispositions. Les décrets d’application clarifient les modalités d’application sans altérer le sens du texte. 

Schéma de la procédure accélérée prévue pour l'adoption d'une loi en France.

La création législative d’une pratique commerciale : définir ce qu’est la fast fashion

Le texte commence par définir une “pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide”. La pratique serait constituée par “la mise à disposition ou la distribution d’un nombre élevé de nouvelles références de produits neufs mentionnés au 11° de l’article L. 541-10-1, y compris lorsque la mise à disposition est réalisée par l’intermédiaire d’un fournisseur de marché en ligne, dépassant des seuils fixés par décret en Conseil d’État”.

Le choix du code de l’environnement

Les “pratiques commerciales” sont classiquement définies dans le code de la consommation, pour ensuite les encourager, les interdire ou les réglementer. Les sanctions associées figurent à la suite de ces articles. Le choix de la proposition de loi est cependant de définir la pratique commerciale dans le code de l’environnement pour ensuite renvoyer vers le code de la consommation pour la mise en œuvre des contrôles et l’application des sanctions. Un nouvel article serait créé et inséré à la suite de l’article L 541-9-1 provenant de la loi AGEC, visant une meilleure information des consommateur·ices sur les déchets causés par les produits qu’ils et elles consomment, notamment en interdisant de faire figurer les mentions “biodégradable”, “respectueux de l’environnement” ou toute autre mention équivalente sur un produit neuf ou son emballage. Cet article est inclus dans la partie du code de l’environnement relative à la prévention et à la gestion des déchets.

Le contenu de l’information des consommateur·ices

Le nouvel article aurait un objectif d’information des consommateur·ices dans le cadre de cette pratique commerciale. A l’origine, le texte de la proposition de loi prévoyait : “Les producteurs, distributeurs et importateurs de produits mentionnés au I affichent sur leurs plateformes de vente en ligne des messages encourageant le réemploi et la réparation de ces produits et sensibilisant à leur impact environnemental. Cette mention figure sur toutes les pages internet permettant l’achat de ces produits, à proximité du prix.” On comprend l’intention d’informer les consommateur·ices sur la manière de mieux prévenir la génération de déchets en utilisant le plus longtemps possible les vêtements qu’ils et elles s’apprêtent à acheter. Un amendement proposait de modifier le texte avec l’objectif d’encourager au réemploi et à la réparation risque en effet de déculpabiliser les client·es de ces plateformes, et donc de ne pas le décourager à acheter davantage. Désormais il ne s’agissait plus uniquement de gestion des déchets mais de messages “sensibilisant à l’impact économique, social, sanitaire et environnemental de la pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide”.

“Les personnes qui ont recours à la pratique commerciale mentionnée au I affichent sur leurs plateformes de vente en ligne des messages encourageant la sobriété, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage des produits et sensibilisant à leur impact environnemental.”

Le texte dans cette rédaction avait-t-il encore sa place dans cette partie du code de l’environnement dédiée uniquement à la gestion des déchets ? Le choix du code de l’environnement pour intégrer cette pratique a amené à un recadrage du texte. Ils ont réintégré cette notion de sensibilisation au traitement des déchets, en respectant “la hiérarchie des modes de traitement qui constitue le socle juridique de la gestion des déchets en France et en Europe. Cette hiérarchie privilégie la réduction des déchets avant leur réemploi puis leur recyclage.” L’intégration de la notion de “sobriété”, soit la réduction de la consommation, répond à l’objectif de l’amendement CD65. Le texte adopté et qui sera examiné par le Sénat prévoit donc : “Les personnes qui ont recours à la pratique commerciale mentionnée au I affichent sur leurs plateformes de vente en ligne des messages encourageant la sobriété, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage des produits et sensibilisant à leur impact environnemental.”

 L’extension de l’obligation d’information aux marketplaces

On notera que le texte initial ne mentionnait que les sites internet des entreprises ayant recours à cette pratique. Un amendement a contribué à ajouter les plateformes de vente en ligne qui revendent ces articles sans les produire. L’obligation à laquelle seraient soumises ces entreprises consisterait à ajouter les mentions sur l’impact environnemental des produits (affichage environnemental renforcé ?) et sur l’importance de prévenir la création de déchets, de manière visible sur leurs pages produits, à proximité du prix.

Cependant, les plateformes de reventes de produits invendus ne seraient pas concernées. 

« La mise à disposition ou la distribution de collections vestimentaires et d’accessoires invendus par des vendeurs, s’ils sont distincts des producteurs des collections, ne relève pas de la pratique commerciale mentionnée au même premier alinéa.” On comprend l’intention de ne pas ajouter des contraintes aux business modèles favorisant la circularité ou contribuant à éviter la destruction ou la déportation de produits textiles. Cependant, la création d’un encadrement légal de la notion d’invendu serait indispensable afin que cette disposition ne constitue pas une porte ouverte pour contourner l’obligation d’information.

“la création d’un encadrement légal de la notion d’invendu serait indispensable afin que cette disposition ne constitue pas une porte ouverte pour contourner l’obligation d’information.”

Le renvoi à des décrets : source d’incertitudes

Cet article de la proposition de loi renvoie à un décret sur deux points essentiels : les seuils du nombre de références au-delà duquel la “pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide” est caractérisée, et le contenu des mentions d’informations. Or rappelez-vous, pas de décret, pas d’application… et nombreux sont les décrets qui, plus de deux ans après l’entrée en vigueur d’une loi, se font toujours attendre. C’est notamment le cas en matière d’interdiction de certaines publicités à des fins environnementales, qui font l’objet du troisième article de la loi.

Un malus pour les produits issus de la fast-fashion

Pour comprendre la notion de malus, il faut maîtriser celle de responsabilité élargie du producteur.

Préalable : la responsabilité élargie du producteur

Les metteurs en marché de produits textiles doivent se préoccuper de la fin de vie de ces produits et de leur gestion lorsqu’ils deviennent des déchets. Pour ce faire, ils peuvent adhérer à un éco-organisme, Refashion, qui se charge de ces missions. L’éco-organisme et ses actions sont financés par l’éco-contribution, une taxe qui est payée annuellement par les entreprises selon le nombre de références qu’ils ont mis en marché au cours de l’année précédente. Cette somme est fixée par unité de vêtement, mais peut être modulée à la hausse ou à la baisse en fonction de divers critères. L’éco-contribution peut être alors être diminuée si un produit a de meilleurs caractéristiques environnementales, par exemple parce qu’il est éco-conçu, et qu’il a donc moins de chances de devenir un déchet, ou moins rapidement qu’un produit standard de même type, ou qu’il utilise moins de ressources naturelles pour sa fabrication. On parle alors de bonus. Les produits aux caractéristiques environnementales les plus mauvaises peuvent voir l’écocontribution augmenter, jusqu’à atteindre au maximum 20% du prix de vente hors taxe du produit au maximum. On parle alors de malus.

La proposition de malus augmenté

Le texte propose ici d’infliger un malus aux produits mis sur le marché par des entreprises ayant recours à la pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide, aboutissant ainsi au paiement d’une éco-contribution beaucoup plus importante à Refashion. Pour les produits issus de la fast fashion, la proposition de loi propose de passer le taux de 20 % à 50 %, ce qui viendrait considérablement diminuer la marge du metteur en marché. Ainsi le malus ne s’applique pas sur le prix des produits en vente aux les consommateur·ices, mais un an plus tard lors du versement de l’éco-contribution. En réalité, on peut être relativement certain·e que cette hausse de taxe se répercute sur le prix des marchandises, du moins en France. A partir de là, ces produits deviendront moins attractifs pour les consommateur·ices.

Le lien avec l’affichage environnemental

Le texte original proposait une modulation de l’éco-contribution en fonction de la participation à la nouvelle pratique commerciale. A la suite des amendements, cette modulation est liée au résultat de l’évaluation de l’impact environnemental dans le cadre de l’obligation d’affichage (méthode de calcul fixée par décret toujours en cours d’élaboration). Un autre amendement a transformé en obligation ce qui n’était qu’une faculté dans le projet initial, à savoir celle de réaffecter les sommes collectées correspondant à des malus au financement d’infrastructures de collecte et de recyclage dans des pays situés hors de l’UE, afin d’enrayer le développement de décharges textiles à ciel ouvert. 

Une montagne de déchets textiles

D’autres amendements ont inséré au texte voté à l’Assemblée l’obligation de ré-attribuer prioritairement le montant des malus à l’attribution de primes aux entreprises remplissant les critères de l’éco-conception, et d’empêcher tout produit ayant recours à la pratique commerciale décriée de bénéficier de primes.

Focus : L’éco-conception c’est quoi ?

Ecoconcevoir consiste à prendre en compte dès leur conception des impacts environnementaux d’un produit sur l’ensemble de son cycle de vie, afin de les diminuer. Depuis la loi AGEC (article L541-10-12 du code de l’environnement), les entreprises metteur en marché de produits textile ont l’obligation de remettre à l’ADEME un plan de prévention et d’éco-conception qu’elles révisent tous les 5 ans, pour présenter leurs mesures pour :

  • réduire l’usage de ressources non renouvelables,
  • accroître l’utilisation de matières recyclées,
  • accroître la recyclabilité de ses produits dans les installations de traitement situées sur le territoire national.

La définition des “critères de l’éco-conception” et leurs seuils de performance devra être très précise pour constituer la base de l’attribution de bonus ou de malus.

Une montant de malus graduel jusqu’en 2030

Le montant des malus est précisé à la suite de l’adoption des amendements. Une échelle progressive a intégré le texte :

  • 5 euros par vêtement mis sur le marché en 2025
  • 6 euros par vêtement mis sur le marché en 2026
  • 7 euros par vêtement mis sur le marché en 2027
  • 8 euros par vêtement mis sur le marché en 2028
  • 9 euros par vêtement mis sur le marché en 2029
  • 10 euros par vêtement mis sur le marché en 2030

Le texte initial renvoyait à un arrêté pour fixer ces montants. Dans un souci d’efficacité, on peut saluer qu’ils soient fixés directement dans la loi. Cependant, ils ne s’appliqueront qu’aux entreprises ayant recours à la “pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide”, et les seuils pris en compte pour les déterminer dépendent toujours dans cette version du texte d’un décret à venir, sans date certaine.

L’interdiction de la publicité pour les produits issus de la fast fashion, immédiate et étendue aux influenceurs

La proposition de loi initiale proposait d’insérer un article pour interdire la publicité pour les produits, entreprises, enseignes ou marques issus de ou ayant recours à la pratique commerciale “de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide”. Pour éviter que l’article ne subisse le même sort que l’article à la suite duquel il est inséré, le renvoi à un décret prévu par le texte initial pour fixer les modalités de l’interdiction ne figure plus dans le texte adopté par l’Assemblée. En effet, cet article L. 229‑61-1 issu de la loi AGEC prévoit “ I.-Est interdite la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles. Un décret en Conseil d’Etat précise la liste des énergies fossiles concernées et les règles applicables aux énergies renouvelables incorporées aux énergies fossiles.” Le décret en question, plus de 18 mois après l’entrée en vigueur de la disposition, n’a toujours pas été publié, laissant cette disposition légale lettre morte. Sans dépendre de la publication d’un décret, le nouvel article, s’il est promulgué, sera immédiatement applicable. Lors des débats devant l’Assemblée Nationale, l’interdiction de publicité pour des produits “dans le cadre d’une pratique commerciale consistant à renouveler très rapidement les collections vestimentaires et d’accessoires” a été étendue aux influenceur·ses.

Les sanctions

La proposition de loi initiale ne contenait aucune sanction. Lors de l’examen du texte, il y a été remédié. Les sanctions sont précisées par renvoi à d’autres articles du code de l’environnement :

  • pour l’interdiction de publicité : renvoi à l’article L229-63 du code de l’environnement qui dispose : “Le fait de ne pas respecter les interdictions prévues aux articles L. 229-61 et L. 229-62 est puni d’une amende de 20 000 € pour une personne physique et de 100 000 € pour une personne morale, ces montants pouvant être portés jusqu’à la totalité du montant des dépenses consacrées à l’opération illégale.

En cas de récidive, le montant des amendes prévues au premier alinéa du présent article peut être porté au double.”

  • pour l’obligation d’information sur les plateformes de vente en ligne : renvoi à l’article L. 541-9-4-1 du code de l’environnement qui dispose : “ Tout manquement aux obligations d’information mentionnées à l’article L. 541-9-1est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.

Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation.” Ces dispositions du code de la consommation décrivent les pouvoirs de sanction des agents de la DGCCRF. Un article ajouté à la proposition de loi donne expressément à ces agents le pouvoir de contrôler et de sanctionner les manquements à l’obligation d’information et à l’interdiction de publicité, en ajoutant ces mesures à la liste de celles dont ils sont déjà habilités à contrôler le respect.

Les aspects sociaux, grands exclus de cette proposition de loi ?

La proposition de loi insère les nouvelles dispositions dans la REP, le code de l’environnement. Ainsi les questions sociales notamment sur les conditions de travail des ouvriers textiles ne peuvent y trouver leur place, même si elles sont pertinentes sur le fond. Les articles 6 et 7 ajoutés à la loi prévoient l’établissement de rapports sur l’opportunité d’étendre certaines mesures à l’échelle européenne et d’imposer au pays exportateurs de produits textiles vers l’UE de rapporter la preuve de la conformité des produits aux normes européennes et notamment le règlement REACH. Au terme de cette analyse vous aurez compris ce que signifie dans ce contexte “le chemin est encore long”. La préparation de l’examen par le Sénat donne lieu à l’examen du texte par la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat et au dépôt de nouveaux amendements. Il convient donc de rester en veille sur le sujet.

Des ouvriers et ouvrieres travaillent sur des machines à coudre dans une usine textile au Cambodge.
Une usine textile au Cambodge. Crédits : U.S. Embassy Phnom Penh

Quelles perspectives pour cette proposition de loi ?

Pour que cette loi soit efficace immédiatement, la première piste serait de faire adopter des seuils concernant le nombre de références pour caractériser la pratique voire le contenu des mentions d’information directement dans la loi. Attention cependant de manière générale : l’Union Européenne avait remis en cause la législation du Triman, qui imposait aux marques de mode de modifier leur étiquetage uniquement pour le textile, en mettant en avant des barrières à la libre circulation des biens au sein de l’Union. Les sceptiques de la proposition de loi “anti-fast-fashion” estiment qu’elle pourrait subir le même sort.

Glynnis Makoundou est avocate experte du secteur de la mode et fondatrice du cabinet pluridisciplinaire Makoundou Avocat dédié aux acteurs de la mode responsable. Top Voice LinkedIn dans la catégorie Retail, elle publie chaque mois des analyses et actualités juridiques liées au secteur de la mode dans sa newsletter.

 

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