Le monde entier porte du denim, partout, tout le temps, sans condition d’âge, de genre, de revenus ou de mode de vie. Cette matière, on la connaît principalement grâce au blue jean, classique indétrônable de nos vestiaires et véritable monument de l’histoire de la mode. On porte le denim si souvent qu’on pense le connaître par cœur, mais au fond, que sait-on vraiment à son propos ? D’où vient-il, comment est-il produit, où et par qui ? Plus important encore, les jeans qui peuplent nos armoires sont-ils responsables ? Tentons de percer les mystères de cette matière omniprésente.
Crédits @RIVERBLUEMOVIE
Le point historique : la fabuleuse épopée du denim
Encore aujourd’hui, il est difficile pour les historien·nes de retracer clairement l’origine du denim. On pense qu’il pourrait venir de Nîmes, de Gênes ou qu’il aurait, au moins, transité par les ports de ces 2 villes européennes [1]. L’histoire du denim devient plus claire à partir du XIXe siècle, quand la toile entame son développement commercial et industriel aux États-Unis via de grandes marques toujours présentes aujourd’hui dont Levi’s et Lee Cooper. Dans les années 1880, le denim s’adresse principalement aux mineurs, aux ouvriers et aux fermiers Américains. Les publicités de jeans ciblent les hommes, les travailleurs et mettent en avant la solidité d’une toile qui résiste à tout et permet de travailler confortablement.
Le denim se démocratise aux États-Unis dans les années 1920 et 1930. Les Américaines portent alors des robes en jean, des vêtements beaucoup plus décontractés que ce qu’on trouve en Europe à cette époque. Le denim devient la matière du vêtement de loisir par excellence. On en fait des shorts, des jupes, des vêtements de plages…
Les jeans arrivent en Europe à cette époque, quand les Européens se fascinent pour les cowboys et les univers américains, notamment à travers le cinéma. Le denim devient le symbole du free spirit américain, le summum de la décontraction. Sa présence dans le monde s’accroît massivement après la seconde-guerre mondiale. L’Europe et le Japon découvrent le désormais classique combo jeans/t-shirt/baskets sur les soldats Américains. C’est alors que les vêtements de l’US Army arrivent sur les marchés aux puces de Paris et des grandes villes d’Europe.
Ancien vêtement du prolétaire Américain, il est porté par la jeunesse urbaine du monde entier dès les années 1950. Le denim s’universalise rapidement, il devient acceptable aussi bien en ville qu’à la campagne, sur les hommes comme sur les femmes, à l’université comme à l’usine et dans toutes les classes sociales.
La production de denim européen se développe dans les années 1980, notamment en Italie et en France. Les marques françaises et italiennes, comme Fiorucci, Marithé & François Girbaud, jouent avec cette matière et font du jean un vêtement sexy et sensuel. Les Américain·es s’arrachent alors les jeans moulants européens. La boucle est bouclée [1].
Un Lee modèle Cowboy des années 40 – Crédits @LONGJOHN
Concrètement, comment on fabrique un jean ?
Comme beaucoup de nos vêtements, la base du denim est le coton.
Ce qui le rend différent des autres toiles en fibres de coton communément utilisées sur nos pantalons, comme par exemple le chino, c’est sa méthode de tissage très spécifique. Pour produire le denim, deux types de fils de coton sont entrelacés “en sergé”, ce qui lui donneson aspect caractéristique de fibres diagonales et parallèles. C’est également ce qui lui confère sa rigidité et son épaisseur [1]. Le denim n’est pas réservé qu’à la seule production de jeans. Mais s’il est possible de produire tout et n’importe quoi avec le denim, on aimerait tout de même ne pas retourner dans l’enfer bleu des années 2000 et ses total looks jeans, voyez plutôt !
Un fédora en denim ? You cannot be serious.
Le terme “denim” ne caractérise que la toile en coton. Toutefois, un vêtement en denim contient nécessairement d’autre matières. En plus des quelques grammes de fil nécessaires à la couture, la production d’une veste ou d’un pantalon en denim comprend notamment l’utilisation de boutons en métal ou en plastique, de rivets pour renforcer les poches, éventuellement d’empiècements de cuir… Le coton est également parfois accompagné d’élasthanne, cette matière dérivée du pétrol et qui permet au denim d’être plus souple et confortable. Nous verrons par ailleurs au cours de cette #CLEANDENIMWEEK que l’on peut fabriquer du denim avec d’autres matières premières naturelles, suivez-nous sur Instagram pour ne rien manquer ! La fabrication d’une pièce en denim implique alors bien plus que la filature et la couture. [2]
Du champ à nos armoires : itinéraire d’un jean
Chaque étape de la production du denim correspond à un corps de métier précis. Les ressources et les savoir-faire nécessaires sont si nombreux et étalés sur la surface du globe qu’Il est presque impossible de produire un denim 100% local, en intégrant la totalité du processus, de la plantation du coton à la vente du produit fini, au sein d’une seule et même structure.
Les enjeux sociaux et environnementaux planétaires du jean
La production de vêtements en denim implique un nombre impressionnant de pays répartis sur toute la surface de la Terre. Dans ce processus, chaque région du monde est spécialisée : le sous-continent indien, l’Amérique du Sud et l’Afrique produisent le coton, l’Occident et le Japon produisent le fil et la toile, le Maghreb et la Chine cousent, l’Inde, l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient se chargent de la teinture et du finishing. Et bien sûr, le monde entier achète les produits finis.
LÉGENDE DES FLUX… Et kilométrage (65 000 au total)
– Vert : culture vers filature
– Rouge : filature vers tissage
– Bleu : tissage vers assemblage
– Orange : assemblage vers finishing
La production de denim touche, finalement, tous les continents.
Avant d’arriver dans nos armoires, nos pièces en denim voyagent sans doute plus que nous ne le ferons jamais au cours de nos vies !
Le denim se sent dans l’air
La production ultra-mondialisée du denim et les trajets des matières d’un continent à l’autre sont responsables d’une empreinte carbone importante pour chacune des pièces que nous portons au quotidien. On estime qu’un vêtement en denim peut parcourir jusqu’à 65 000 km avant d’atterrir dans nos armoires. On évalue ses émissions de CO2 à 20 kg en moyenne et jusqu’à 40 kg [3]. En comparaison, un vol Paris-Londres emet un peu plus de 50 kg de CO2 par passager. Toutefois, un avion de tourisme ne transporte qu’une poignée d’individus quand un avion cargo peut transporter plus de 40 tonnes de marchandises. Ce lourd bilan inclut également les émissions de CO2 nécessaires à la culture du coton, l’usage de machines agricoles, le travail de filature, de tissage et d’assemblage en usine.
Plus difficile à calculer, l’énergie nécessaire à faire fonctionner la chaîne d’approvisionnement ne doit pas non plus être oubliée. Surtout dans un monde encore dominé par les énergies fossiles.
L’eau et les sols portent le poids de la production de denim
Les champs de coton ne couvrent que 3% des terres cultivées [4]. Pourtant, il s’agit de la 3e activité agricole la plus gourmande en eau après le riz et le soja, dans des pays où l’eau potable est parfois rare. L’Inde, l’Australie, l’Afrique du sud et la Turquie où pousse le coton sont confrontés presque annuellement à des épisodes de sécheresse de grande ampleur. Le coton est pourtant une plante qui ne peut s’épanouir que dans un climat tropical ou aride. Une capricieuse qui n’est pas à une contradiction près ! Sa culture a notamment largement contribué à assécher la Mer d’Aral, un lac géant d’Asie occidentale, grand comme 2 fois la Belgique, aujourd’hui disparu au profit de l’irrigation des champs de coton Ouzbeks [5].
On estime que la production d’un jean, pièce emblématique du denim s’il en est, consomme entre 7 000 et 10 000 litres d’eau [6].
Compliqué à faire pousser, le coton est également fragile, rongé par les insectes, maladies et champignons. Pour garantir un rendement important, sa culture nécessite un usage intensif d’engrais et de pesticides. Afin d’en limiter l’utilisation, 82% du coton cultivé est aujourd’hui génétiquement modifié. Toutefois, la demande est telle que même le coton OGM ne peut se passer entièrement de ces produits.
Le coton est majoritairement planté hors du monde occidental, dans des régions où les réglementations quant à l’usage des pesticides sont particulièrement souples. L’Inde, 1e producteur mondial de coton, permet notamment l’utilisation de produits tels que le diethion, un insecticide hautement toxique, dangereux aussi bien pour le cerveau que pour le cœur et les poumons et soupçonné d’être cancérigène. Pour cette raison, son usage est prohibé dans l’Union Européenne [8].
La teinte bleue du denim, traditionnellement obtenue grâce à l’indigo, est aujourd’hui souvent réalisée à partir de produits de synthèse contenant, notamment, du chlore et des métaux lourds. En Asie du Sud-Est, ces produits se retrouvent parfois rejetés sans traitement préalable dans la nature [7].
Toile de denim, nuances d’indigo – Crédits @BOZZETTO
Les agriculteur·rices de la filière sont directement exposé·es à ces produits qui pénètrent les voies respiratoires mais aussi les sols, les rivières et les nappes phréatiques. La présence de champs de coton s’accompagne généralement d’une hausse des maladies cardio-vasculaires, des cancers et de la mortalité dans les populations locales [8]. Toutefois, l’intégralité du coton cultivé n’est pas destinée à la production de denim. Il s’agit donc d’un problème plus généralement attribué à la filière textile et auquel la mode dans son ensemble peut tenter d’apporter une réponse. Des solutions, il y en a déjà ! La production de coton biologique permettrait de résoudre ces problèmes. Même si elle ne représente aujourd’hui que 1% du coton produit, la demande augmente et elle se démocratise [8]. Une touche d’espoir : le meilleur est à venir !
Nos jeans ont également un coût humain
Si les agriculteur·rices sont les premier·es touché·es, ce ne sont pas les seul·es à ressentir les effets de la production du denim. Cette industrie implique les citoyen·nes du monde entier. Si elle fournit alors des millions d’emplois, elle est aussi responsable des conditions de travail de millions de personnes. Les conditions de travail des ouvrier·es Européen·nes, Américain·es ou Japonais·es, sont parmi les plus régulées au monde. Les denims tissés et assemblés dans ses pays sont généralement considérés comme de haute qualité, et naturellement vendus à un prix plus élevé pour fournir les marques les plus haut de gamme. Les toiles produites dans le reste de l’Asie, en Amérique du Sud ou en Afrique du Nord fournissent d’abord la fast fashion. Le production du denim, implique des procédés parfois dangereux et souvent prohibés en occident. Parmi eux, le sablage est certainement l’un des plus emblématiques.
La teinte bleue du denim s’estompe naturellement à l’usage. Il faut cependant attendre plusieurs mois voire plusieurs années pour voir apparaître ces premiers signes d’usure naturellement. Le sablage permet donc au denim d’obtenir l’aspect délavé que nous aimons tant dès la production.
Les ouvriers du jean au Bangladesh, un documentaire France 2 – 2016
Cette technique industrielle consiste à propulser des matières abrasives, essentiellement de la poudre de silice, à très haute vitesse sur la toile de denim. Le sablage n’est pas sans danger pour les travailleur·ses qui y sont exposé·es. Ces fines particules, très volatiles, se logent dans les poumons et causent irritations des voies respiratoires et cancers [9].
Cette pratique est désormais interdite dans la majorité des pays occidentaux. La Turquie, ancien grand bastion du sablage, a mis fin à cette pratique en 2009. L’interdiction se répand et contribue fortement à améliorer les conditions de travail dans l’industrie du denim à l’échelle mondiale [10].
À mesure que l’interdiction prend de l’ampleur, de nouvelles techniques sont mises au point pour remplacer le sablage. Aujourd’hui, nos jeans peuvent notamment être délavés au laser, une technique qui n’utilise ni eau, ni produits dangereux [11], où encore à l’ozone. Nous faisons le point sur les bonnes manières d’appliquer des finitions sur un jean, dans notre article intitulé ÉCO-DENIM !
L’industrie de la mode est consciente de l’impact du denim sur l’environnement et sur les humains qui le produisent. Cependant, faut-il vraiment l’abandonner pour autant ? Booster l’innovation et faire rayonner les bonnes pratiques de production et de distribution d’un denim écologique, c’est tout l’enjeu de Denim Première Vision, rendez-vous international des amoureux de cette matière. L’avantage premier et historique du denim, c’est avant tout sa longévité, sa résistance et sa capacité à s’embellir avec le temps. Une pièce qui dure et qu’on garde longtemps, c’est aussi une pièce responsable par essence. Pour réduire son l’impact, il suffit peut-être de savoir comment shopper les denims bien faits et d’apprendre à mieux les conserver ! À découvrir dans cette #CLEANDENIMWEEK !
Références
[1] Salomé Dudemaine, historienne de la mode et des arts, fondatrice de melo-retro
[2] Carnet de vie d’un jean, ADEME, 2014
[3] Le jean fait sa révolution écologique, Le Parisien, 8 juin 2019
[4] Carbon Footprint on Denim Manufacturing, Gopalakrishnan Duraisamy, PSG College of Technology, Coimbatore India Join institution, juin 2018
[5] Disparition de la mer d’Aral : les causes d’un désastre écologique, National Geographic, 9 novembre 2017
[6] Un autre (blue) jean est possible, France Inter, 27 octobre 2019
[7] 7000 à 10 000 litres d’eau pour fabriquer un jean : comment arrêter les frais ?, l’Info Durable, 30 mai 2018
[8] Conso : la face cachée du coton, France Info, 9 février 2018
[9] Riverblue, film documentaire de David McIlvride et Roger Williams, 2016
[10] Fashion victims: a report on sandblasted denim, Fair Trade Center, 2010
[11] Jeanologia
c’etait un tres bon document
Merci beaucoup pour ce commentaire !
Ça m’a servi votre document pour mieux comprendre pollution sur denim / habillé.Merci
Meilleur retour ! Merci !
Bof. Bien ordonné le document mais sans plus… ?
Ok !