Quelle place tient l’éthique dans les cursus design des grandes écoles de mode françaises ? Les professionnel·le·s du secteur peinent encore à prendre la mesure des enjeux et se former aux solutions concrètes en faveur d’un développement durable de l’industrie. Qu’en est-il des écoles de mode françaises ? Proposent-elles des enseignements pour former les créateur·ice·s de demain ? Peut-on espérer voir naître une nouvelle génération de designers responsables prêt·e·s à prendre d’assaut tous les maillons de la chaîne de valeurs ?
En France, les écoles de mode sur tous les fronts pour aborder la mode éthique
Les écoles de mode françaises semblent avoir bien intégré les enseignements en responsabilité sociale et environnementale dans leurs cursus. À titre d’exemple, à Paris, l’école Duperré propose un DSAA (Diplôme Supérieur des Arts Appliqués) Mode et environnement. L’école Autograf a également développé un bachelor Design global écoresponsable, l’IFM propose un Certificat de Développement Durable accessible de la licence au Doctorat, en complément du cursus conventionnel et dans le cadre de la chaire établie avec le groupe Kering. La machine est en marche, mais la question de la responsabilité dans la mode reste complexe. Il existe une multiplicité d’angles différents pour donner aux étudiant·e·s les clés pour appréhender un futur plus éthique.
Plusieurs angles, plusieurs approches
À l’Institut Français de la Mode, les enseignements liés à la mode responsable sont avant tout portés par la Chaire Sustainability IFM-Kering, projet scientifique conçu pour tenter de proposer aux élèves des enseignements théoriques à la pointe de la recherche. Andrée-Anne Lemieux, Directrice de la chaire nous explique : “L’Institut Français de la Mode a mis en place un module en développement durable obligatoire de 25 heures pour tous les élèves, qu’ils soient en design, en management ou en marketing. Dans ce module nous proposons une introduction au développement durable, une sensibilisation au réchauffement climatique, des cours sur la biodiversité, sur l’économie circulaire, sur la traçabilité, sur les nouveaux modèles économiques durables, mais aussi des cours plus pratiques d’éco-conception.”
L’idée est de livrer un socle de connaissance à tous les futur·e·s professionnel·le·s. En Master, celles et ceux qui veulent aller plus loin peuvent également obtenir un certificat Fashion Sustainability dans le cadre de la chaire, un programme pluridisciplinaire, gratuit et sélectif réservé à 35 élèves par an. Il implique 60 heures de cours sur le développement durable et un projet pratique.
Autre école, autre approche : l’Esmod, établissement reconnu internationalement pour ses enseignements en stylisme et modélisme, mise sur des éléments plus pratiques qu’académiques. “Dès la première année, les élèves ont des cours sur les textiles bios, puis sur l’innovation textile qui peut inclure des innovations responsables. Côté pratique, en première année, les élèves ont notamment un exercice sur la production d’une robe zéro-déchet.” explique Véronique Beaumont, Directrice Générale de l’école. “On implémente petit à petit des pratiques de zéro-déchet en modélisme au sein de l’école. On met également à disposition des corbeilles pour récupérer les chutes de tissus.” Spécialiste des enseignements pratiques, l’Esmod propose également à ses étudiant·e·s d’utiliser des matières upcyclées pour la fabrication des collections de fin d’année, récupérées par les élèves eux-mêmes ou issues des tissuthèques de l’école.”
Une demande expresse de la part des étudiant·e·s
La prise de conscience des écoles de mode semble précédée par celle des jeunes générations qui s’apprêtent à occuper leurs bancs. Toutes mettent en avant le souhait des futur·e·s élèves et plus largement, des citoyen·ne·s, qui les ont encouragées à intégrer l’éthique dans leurs cursus.
Ces cursus représentent un véritable avantage concurrentiel pour les écoles, laissant présager une généralisation de ces enseignements dans un avenir proche. “Les candidat·es nous ont beaucoup posé de questions concernant nos enseignements liés à la mode éthique pendant les entretiens de recrutement de cette année. Nos élèves cherchent désormais davantage à savoir si nous enseignons la mode responsable que de savoir si notre diplôme leur permettra d’être embauché·e·s dans une grande Maison.” explique Véronique Beaumont pour l’Esmod.
Le message envoyé par les étudiant·es est clair, la prise de conscience semble ancienne et pourtant, la mise en pratique est récente.
Côté Esmod, on explique ne pas souhaiter “imposer ces enseignements à l’ensemble des étudiant·es, en préférant leur laisser le choix d’approfondir leurs connaissances en éco-conception s’ils ou elles le souhaitent.” On déplore que ces initiatives ne soient pas encore intégrées au cursus général, encore considérées comme une discipline optionnelle.
L’ombre des géants du luxe
Il est difficile de dater précisément les premières demandes des étudiant·e·s. Toutefois, on constate que l’impulsion finale qui permet aux établissements de concrétiser ces souhaits provient, le plus souvent, de l’extérieur : d’un souhait de la direction comme à l’Esmod, ou d’un partenaire entreprise, comme pour l’Institut Français de la Mode dont la démarche est officiellement actée par Kering et son souhait affiché de former la relève de la mode avec des valeurs responsables.
Quelles sont les prochaines étapes pour développer les enseignements en mode responsable ?
Si les écoles sont déjà nombreuses à s’être emparées de la question, l’appétit des futurs designers qu’elles forment semble ne pas encore se satisfaire des enseignements existants et ils n’hésitent pas à le faire savoir. La majorité des écoles font état d’une demande en perpétuelle croissance qui les incitent à aller plus loin.
Bel exemple en la matière, l’Institut Français de la Mode a, pour répondre à la demande de ses élèves, créé un programme diplômant “Fashion sustainability shaping fashion’s future” de 80 heures de cours en e-learning, ouvert aux grand public dans le monde entier et gratuit pour les élèves de l’école.
Une stratégie payante en matière d’employabilité des jeunes diplômé·e·s ?
Les programmes sont récents et nous avons globalement peu de recul, mais les indicateurs sont pour l’instant au beau fixe.
Les écoles indiquent sans exception que tous·te·s les étudiant·e·s ayant choisi d’approfondir leurs connaissances en mode responsable ont trouvé des stages dans les services RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) des grandes marques de luxe et arrivent à intégrer le milieu professionnel sans faire une croix sur leurs valeurs. Andrée-Anne Lemieux précise toutefois : “Il faut encore que nous puissions évaluer s’il n’y a pas un décalage entre les opportunités qu’offre vraiment l’industrie de la mode en ce moment et les aspirations de nos étudiant·e·s en matière de mode responsable.”
Espérons que les entreprises elles-aussi jouent le jeu et recrutent la motivation et les belles idées des jeunes diplômé·e·s issu·e·s de cursus intégrant l’éco-conception et du développement durable.