Les adeptes de la matière diront qu’elle est intrinsèquement responsable, les réfractaires, que son exploitation n’a pas sa place dans un monde soutenable. La voie de la raison se trouve vraisemblablement au milieu. Produire moins, des objets de qualité et durables dans le temps, c’est ce vers quoi l’industrie doit tendre en entier. Pour respecter l’équilibre des écosystèmes, l’offre doit être diverse et complémentaire. Dans cet article, l’idée n’est pas d’affronter les opposants mais bien de guider au mieux l’usage du cuir quand un designer le considère nécessaire. Quelle origine et quelles garanties de traçabilité ? Quels gages de qualité, quels labels ? Pour Première Vision, nous faisons le point avec un expert.
Entretien avec Frank Boehly, Président du Conseil National du Cuir.
En partenariat avec Première Vision Paris.
D’abord, la sémantique : qu’est-ce qu’un produit “responsable” ?
Interrogez-vous sur le pourquoi avant le comment.
Qu’on soit dans la peau d’un jeune designer ou d’une grande Maison, questionner la raison d’être d’un produit est désormais indispensable dans un monde où les ressources sont rares et où les exigences de tout bord, réglementaires comme citoyennes, se multiplient. Produire raisonnablement, des vêtements, chaussures ou accessoires durables est la ligne de conduite que l’Affichage Environnemental/Digital Product Passeport nous invite à suivre. Si la notion de durabilité fait si difficilement consensus, c’est parce qu’elle est elle-même plurielle. Un produit doit durer par ses qualités intrinsèques : robustesse, résistance au temps et aux évènements de vie auxquels il est soumis ; être aussi apte à répondre à un cahier des charges techniques ; correspondre aux attentes esthétiques des client·e·s à long terme, contre pied de l’obsolescence émotionnelle ; enfin, dans l’idéal, connaître plusieurs vies. “Le cuir est responsable par essence, pleinement inscrit dans l’économie circulaire. ll revalorise un coproduit qui deviendrait un déchet en l’absence de débouché dans la filière, en comparaison notamment aux matières alternatives.” explique Frank Boehly. Nous insistons alors dans l’entretien sur le parti pris de cet article : ne pas construire une offre en opposition à une autre, mais bien raisonner sur la bonne procédure à suivre en cas du choix d’emblée d’une peau animale de première main. La responsabilité environnementale est liée à la durabilité intrinsèque du produit. Il a été démontré, toute chose étant égale par ailleurs, qu’en termes de fabrication, l’impact des produits en cuir est en moyenne deux fois moindre car leur usage est deux fois plus long que d’autres en matière naturelle ou biosourcée. Les qualités techniques et de résistance sont actuellement inégalées par les concurrents”. Ceci étant posé, nous affinons nos critères en la matière.
Quels sont les critères à avoir en tête pour évaluer la qualité d’un cuir ?
La traçabilité est la mère de toutes les batailles et le juge de paix final pour l’ensemble des produits.
“La traçabilité est la mère de toutes les batailles et le juge de paix final pour l’ensemble des produits.” Du devoir de vigilance au Digital Product Passeport en passant par le UFLPA, tout converge en faveur de cette déclaration. Concernant le cuir, il est raisonnable de rechercher en priorité du côté des grands leaders. A minima, choisir un cuir d’origine européenne, les premiers de la classes étant indiscutablement l’Italie et la France, suivis par l’Espagne et le Portugal.” On est alors certain·e·s d’avoir une certification de qualité, les normes européennes étant les plus avancées au monde en termes de protection des consommateur·ice·s. “Il n’existe pas de garanties supérieures à celle que l’Europe propose concernant les matières dangereuses et polluantes. La réglementation REACH est extraordinairement contraignante, à l’origine de la disparition d’un nombre important de tannerie n’ayant pas pu mettre en place les investissements drastiques pour y répondre.” Bien qu’appuyant le propos, nous rappelons ici cependant aux légiférant·e·s qui nous lisent que la réglementation établie en 2007 n’a pas été révisée (en dehors de nouvelles matières ajoutées), projet décalé chaque année depuis 2022. Il semblerait que les exigences présentées dans la version révisée soient incompatibles avec les procédés industriels actuels, donc ajournée pour obtenir une faisabilité compatible avec les procédés industriels, notamment eût égard aux investissements à prévoir.
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Un focus particulier sur la traçabilité en France, érigé en modèle à suivre
En France, un système de traçabilité fait l’objet de recherches depuis 2018 via le CTC (Centre Technique du Cuir). Un procédé industriel a été déposé en 2023 et désormais commercialisable dans le monde entier. “Il s’agit d’un système absolument unique : un marquage laser est apposé à la sortie des abattoirs sur la peau de l’animal, couplé à une lecture optique automatique en tannerie.” Ce procédé existe pour le veau, est en cours de développement pour le jeune bovin et sera bientôt en place à grande échelle pour les gros bovins et les ovins. “Il garantit une traçabilité parfaite de l’élevage au produit fini. On sait désormais de quel élevage vient la peau avec laquelle on fabrique un article”. L’exemplarité étant la meilleure manière d’influencer, par effet de domino, la concurrence italienne devrait rapidement prendre le pli. “La pression des consommateur·ice·s est telle que, progressivement, toute la production de cuir sera concernée.” Ce système permet de renseigner les conditions d’élevage, d’abattage, de conditionnement de la peau à la sortie de l’abattage et la façon dont les tanneries travaillent.
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Quel tannage pour projet ?
Ici encore, l’opposition entre minéral et végétal ne semble pas avoir lieu d’être. Le choix dépend de la fonction. “Seul le produit fini doit guider la méthode : le cuir tanné végétal sera idéal pour semelle en cuir, imperméable et solide, en revanche inadapté pour un gant ou un blouson en cuir’. Il existe de nombreuses fausses croyances sur le sujet, Frank Boehly poursuit : “De prime abord, le végétal semble l’option la plus écologique, cependant les matières premières requises pour les pigments ne viennent généralement pas d’Europe. Par ailleurs, la rigueur du traitement des eaux tannées au sulfate de chrome en Europe implique que l’eau restituée après tannage soit aussi pure qu’avant, selon les critères des stations d’épuration privatives ou collectives.” Le chrome hexavalent fait bien souvent l’objet de controverses. “Il n’est jamais utilisé pour tanner car seul le trivalent a un pouvoir de tannage. L’hexavalence advient soit quand les procédés ne sont pas bien maîtrisés, soit parce que les matières et produits ont été exposés dans des mauvaises conditions de chaleur ou de confinement.” Cela renforce les arguments en faveur d’un cuir traçable et le plus local possible, aux chaînes de valeurs maîtrisées. La conformité européenne repose en amont sur les donneurs d’ordres aux distributeurs, en aval sur les contrôles aléatoires des douanes. “Le risque financier (amendes) et réputationnel est immense en cas de manquement”. Le risque zéro n’existe pas mais il semble bordé en France.
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Quel·les sont les certifications ou labels à rechercher chez un fournisseur ?
La principale certification à rechercher lors de l’achat de peaux est la LWG (Leather Working Group qui ne cesse de se complexifier et classe les matières en trois degrés d’excellence (bronze, argent, gold). “L’ICEC est un label italien qui monte en puissance ; Oeko-Tex Leather, NaturLeder ou Made in Green sont à connaître, tout comme les certifications ISO 14 000 et ISO 5000 concernant respectivement l’environnement et l’énergie.” Côté savoir-faire, le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) garantit l’excellence.
En tant que responsable du développement produit comme en tant que citoyen·ne, comment évaluer la qualité d’un produit fini de maroquinerie ?
“Être sûr·e que c’est du cuir !” La réponse irrite autant qu’elle ne surprend à l’heure d’une offre débridée de produits de très basse qualité proposés par l’ultra fast fashion – Shein et consorts – dont les fiches produits affichent encore impunément “Cuir PU” sur des produits intégralement composés de plastique. Le cuir est la seule matière dans laquelle on ne peut incorporer de matières synthétiques. “Le prix est ensuite forcément un indicateur de qualité, quel que soit le produit”.
Plus pragmatique, l’aspect est un point essentiel à étudier. La matière ne doit pas être trop souple “cela voudrait dire que l’on a utilisé les bas-flancs, contrairement à la partie la plus résistante, le dos la partie haute des flancs. Partout là où l’animal a beaucoup de mouvements à faire, le cuir est plus mince et souple”. Autre test à la main, la peau ne doit pas être trop extensible (en dehors d’une recherche de matière propice à la réalisation de gants, par exemple de l’agneau). Inspecter la totalité de la peau est aussi un pré-requis, à la recherche de défauts cachés, à considérer selon l’usage et la position de celle-ci dans le design. “L’origine dont nous avons parlé, l’épaisseur, la régularité de celle-ci, le ponçage éventuel, l’appellation ‘cuir pleine fleur’ ou ‘refendu’ ”. Sans s’ériger en expert, avoir un bagage de questions censées prêtes-à-l’emploi permet de juger du sérieux professionnel du fournisseur et gage de la volonté, bien que néophyte, de connaître la matière. Un coup d’avance sur l’exhaustivité de la fiche produit…
Ma mère a inventé un brevet révolutionnaire pour la traçabilité des produits dans les années 2000. Le gouvernement français l’a contactée pour en faire une norme internationale. Mais au lieu de la rémunérer pour son travail ou de reconnaître son expertise, ils l’ont ignorée pour éviter sa diffusion. Aujourd’hui, seulement 10 % de ce brevet est utilisé, mais elle n’a jamais été rémunérée ni reconnue pour son travail. C’est une injustice flagrante. Son brevet était et demeure la solution globale pour ce type de problème.
https://www.inventerpasrever.com/sites/inventerpasrever.com/files/pages/comment_letat_laisse_piller_ses_brevets.pdf