D’après celles et ceux qui font la mode, le “nude” est une couleur censée rappeler celle de la peau nue. Autrefois super-trend, le “nude” est devenu un classique, omniprésent à tous les étages de la mode, de la lingerie et de la beauté. Une sorte d’essentiel qu’on garde en fond de tiroir. En français, on qualifie aussi le “nude” de “couleur chair”. Un titre pour le moins évocateur… La définition paraît simple mais il y a comme un hic. A priori, les êtres humains n’ont pas tous la même couleur de peau. Si le “nude” est de la couleur de la peau, de quelle peau parle-t-on ? Quelle chair est représentée sur les vêtements couleur chair ? L’exclusion des chairs foncées ou noires est une des formes que prend le privilège blanc dans les secteurs de la mode et de la beauté.
Factuellement, notre vision du “nude” et du “couleur chair” n’ont aucun sens
Une robe marron est une robe marron, une robe noire et une robe noire ; une robe rose pâle ou beige aux accents dorés est une robe “nude” ou couleur chair. Pourtant, une personne noire vêtue d’une robe marron n’est-elle pas vêtue d’une robe de la couleur de sa propre chair ? Ou la couleur de sa peau est-elle invisible pour l’industrie de la mode ? À partir de ce constat tout simple, le concept de “couleur chair” comme nous le connaissons actuellement ne tient déjà plus debout.
Le “nude” est un concept plus qu’une couleur véritable. Il regroupe une variété de teintes dérivées du beige et du rose pâle. L’industrie de la mode a donc fait l’effort d’inclure différentes teintes de peaux blanches, mais n’a pas souhaité y inclure les peaux noires ou foncées.
La simple existence d’une couleur “chair” uniquement adaptée aux peaux blanches implique une teinte de peau dominante. Si le vêtement “nude” est beau mais qu’il n’est conçu que pour les peaux blanches, nous admettons collectivement que les peaux noires ou foncées n’ont pas les qualités esthétiques nécessaires pour adopter un maquillage ou un style “invisible”. S’il est sans doute inconscient pour la majorité d’entre nous, ce point de vue n’en reste pas moins profondément raciste.
L’énormité que la mode refuse de voir
Les pays où la mode qui défile est massivement créée, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les États-Unis, sont tous intrinsèquement multiculturels et ethniques. La notion d’une couleur de peau “standard” n’a aucun sens. Pourtant, c’est là qu’elle s’est développée. La question de l’inclusion des minorités ethniques et raciales dans la mode se pose très sérieusement depuis au moins une décennie.
Leur visibilité est croissante mais encore insatisfaisante. Ces personnes ne sont pas suffisamment représentées dans les entreprises ou les médias, dans les images comme dans les termes. La question de l’invalidité de notre vision du “nude” peine à émerger, ce qui est d’autant plus grave qu’elles sont insidieuses : avant qu’on en pointe l’aberration, le terme nous semble banal.
Heureusement, les personnes de couleur font avancer la mode
La question n’est pas totalement nouvelle. Les personnes racisées directement rejetées par cette notion tentent de faire passer le message depuis longtemps.
En 2018, la journaliste et écrivaine française et noire Rokhaya Diallo publiait une tribune sur le site d’information Buzfeed dans laquelle elle évoquait, à travers l’exemple des pansements, l’inexistence de produits “couleur chair” adaptés aux personnes noires et de couleur. Son propos concernait également la mode. Dans ce texte, elle déclarait : “Il n’y a pas que les sparadraps qui sont inadaptés aux personnes noires. Il y a le maquillage, /…/, les collants couleur “nude”, les lunettes…”
L’illustration de l’article de Rokhaya Diallo dans Buzzfeed
Plusieurs marques ont également essayé de soulever la question. Les plus proactives sur ce sujet sont, sans surprise, les marques dirigées par des personnes noires ou racisées. Bien souvent, ce sont elles qui apportent des contre-exemples concrets et appliquent une autre vision du “nude” plus inclusive. La marque Fenty de l’artiste Rihanna propose notamment des rouges à lèvres “nudes” déclinés en 3 versions, pour les lèvres claires, mates et foncées.
La campagne Fenty Beauty, la marque de Rihanna
Coté mode, la maison Louboutin lançait en 2015 une campagne “Nude is not a colour, it’s a concept” et mettait en avant des escarpins vraiment “nude”, c’est-à-dire déclinés pour 10 teintes de peaux, du blanc pâle au noir.
La campagne inclusive Louboutin
Notre vision du “nude” menace l’inclusion dans les secteurs de la mode et de la beauté
La mode est dominée par les personnes blanches. Un entre-soi qui rend possible le fait d’ignorer une partie de la population à qui se destine pourtant ses créations. La mode est majoritairement imaginée par des personnes blanches qui créent avant-tout pour elles-mêmes et qui entretiennent naturellement l’idée, plus ou moins consciente, que tous les produits leur sont destinés. Le fait de réserver aux peaux blanches le statut de peaux “standard” est extrêmement excluant.
Cependant, le problème de cette vision du “nude” réside aussi dans la teneur et l’application de cette tendance. L’intérêt de la tendance “nude” réside dans l’illusion d’optique, dans la puissance graphique d’un vêtement ou du maquillage presque invisibles, dans un effet ton sur ton avec (toutes) les peaux. Puisque le “nude” n’existe que pour les peaux blanches, alors nous pouvons dire que la mode a créé une tendance interdite aux personnes noires, une forme de ségrégation dans la mode. Bonne nouvelle, le premier pas vers la résolution d’un problème, c’est de le soulever. On vous laisse passer le message ?
Ressource complémentaires
Il est essentiel de lire les travaux d’auteurs et d’autrices noirs directement concernés par ces discriminations du quotidien pour mieux en prendre conscience et mieux les comprendre.
Dans son ouvrage “Le racisme est un problème de Blancs” paru en France en septembre 2018, la journaliste Britannique noire Reni Eddo-Lodge explore d’autres manifestations du privilège blanc. Elle explique les raisons politiques, historiques et les effets de l’invisibilisation des personnes noires, bien au-delà les frontières de la mode.
Le racisme n’est pas un problème de blanc. Voir les remarques racistes envers miss Algérie(avec une peau trop foncée) en 2019, ou les manifestations contre les chinois en Ouganda en 2017, ou l’intolérance des autochtones vis à vis de toutes les autres population en Arabie Saoudite…Renseignez vous avant de faire de la publicité pour le livre ci-dessus. Il est probable qu’il contienne des vérités propres aux Sociétés à majorité blanche mais il aurait été plus avisé de choisir un titre représentatif de la réalité plutôt que celui-ci qui n’a probablement pour vocation que de faire vendre des exemplaires .
Super article très pertinent. Je vais essayer d’utiliser d’autres termes à présent pour parler d’une couleur beige ou rose. Dommage que certain commentaire ne se concentre que sur le titre d’un livre. (Le titre original en anglais est “why I don’t speak about racism with white people” qui représente mieux le contenu du livre et dont ce premier commentaire est le parfait exemple de la raison).
Génial ! Merci pou ce retour et la réf !