Jeune prodige, Kevin Germanier remet de la joie dans la mode responsable. Diplômé de Central Saint Martins, lauréat de plusieurs prix de mode internationaux, il bouscule les codes et impose petit à petit sa vision d’un luxe à la fois upcyclé et glamour. Depuis la fondation de sa maison Germanier en 2018, son travail prouve qu’une approche sérieuse et engagée peut aussi prendre des formes festives et colorées ! Pour The Good Goods, il raconte sa démarche et sa vision réaliste et optimiste du présent et du futur de la mode.
Notre interview de Kevin Germanier
L’éco-responsabilité est-elle centrale chez Germanier ?
Aujourd’hui, je ne conçois pas d’imaginer des vêtements sans démarche éthique, mais ce mode de pensée n’est pas inné chez moi. Mon approche éthique est d’abord née d’un souci économique. J’ai été formé à la Central Saint Martins qui est une école très chère et je n’avais pas beaucoup d’argent. Pendant mes études, je me suis rendu compte qu’en achetant des pièces vintage comme des couvertures de lit ou des vieux draps, j’arrivais à réaliser mes projets d’école à très faible coût. C’est comme ça qu’a commencé mon voyage vers l’upcycling.
Plus tard, j’ai travaillé chez Louis Vuitton à Paris, tout en continuant à produire des vêtements chez moi avec des matières upcyclées. Chez LVMH, j’ ai trouvé le soutien d’Alexandre Capelli de la branche Sustainability. C’est lui qui m’a encouragé à présenter ma collection pendant la fashion week et c’est suite à ce succès que j’ai commencé ma propre marque. La démarche responsable a toujours été là.
Vos créations sont extrêmement colorées, loin de l’imaginaire d’une éco-responsabilité sobre, discrète et minimaliste. La glamourisation de la mode responsable fait-elle partie de la démarche de Germanier ?
Il y a tellement de stéréotypes et de clichés qui dictent ce à quoi une marque éthique doit ressembler. On enferme la mode responsable dans un univers plat, avec des inspirations naturelles, des tons beiges, des plantes en arrière-plan, et des grands slogans pour nous dire d’arrêter de tuer la planète. Avec Germanier, je veux montrer tout le contraire. Je veux montrer qu’on peut créer une mode éthique avec des sequins, des cristaux Swarovski, des paillettes.
Mon style est pop et glamour avant toute revendication. Je prouve qu’on n’a pas besoin de renier son style et de compromettre son ADN pour construire une marque éthique. D’une certaine façon, mon but est effectivement de bousculer les règles et les stéréotypes sur l’esthétique attendue des marques éthiques.
Est-ce que cette forme de mode éco-responsable plus glamour permet de sensibiliser un nouveau public ?
Aujourd’hui, nous avons clairement 2 types de clientes. D’un côté, nous avons effectivement des femmes conscientes qui souhaitent être sexy, mais qui se soucient aussi de consommer bien, de soutenir un business écologiquement et socialement responsable. Elles s’habillent chez Germanier parce qu’elles aiment l’histoire de la marque, l’origine éthique des matières, le fait que les pièces sont fabriquées par ma grand-mère…
D’un autre côté, nous avons toute une clientèle de femmes qui viennent chez nous car elles aiment le produit et qui l’achètent avant-tout pour sa beauté. A priori, elles ne se préoccupent pas de savoir si les vêtements qu’elles portent sont éthiques mais souhaitent acheter un bon produit qu’elles vont chérir et qu’elles auront envie de montrer. Quand elles viennent chez Germanier, elles trouvent ce qu’elles cherchent sur le plan esthétique. Dans un second temps, elles lisent la description du produit et se rendent compte que ce type de produit peut-être conçu de manière éthique. C’est comme ça qu’on les sensibilise. Et si on arrive à faire consommer éthique à ces personnes qui n’ont au départ aucune sensibilité pour cette problématique, alors j’ai gagné !
On retrouve aussi une esthétique très futuriste chez Germanier mais elle tranche avec les tendances modes techwear plus sombres qui semblent prévoir un avenir plutôt dystopique. Le futur que vous visualisez est-il optimiste ?
Je n’aime pas les visions clichés du futur qui prédisent qu’on sera tous sur Mars en 2050. J’essaye d’utiliser des codes futuristes pour proposer une autre vision du futur plus réaliste pour être crédible. Personnellement, quand j’imagine le futur, je ne m’imagine pas du tout dans une combinaison en silicone techwear. Chez Germanier, on essaye de proposer un futur dans lequel on arrive à se projeter.
J’aime le fait main mais j’adore aussi le digital, la technologie, le plastique… Il y a quelque chose d’unique chez Germanier : le mélange des savoir-faire manuels et traditionnels avec des techniques hyper futuristes. Par exemple, une pièce cousue à la main par ma grand-mère sera ensuite complétée par des broderies faites au silicone à Paris.
Une pièce cousue à la main par ma grand-mère sera ensuite complétée par des broderies faites au silicone à Paris
Comment envisagez-vous l’avenir de la marque sur le long terme, lui permettre de croître sans abandonner son éthique sociale et environnementale, l’upcycling et les savoir-faire artisanaux ?
Si nous n’avons pas la capacité de continuer à réaliser les pièces comme nous souhaitons le faire aujourd’hui, nous avons la maturité de refuser certaines commandes. Avec un peu de pédagogie, tout passe. Je peux tout à fait expliquer aux client·e·s les raisons pour lesquelles je ne peux pas répondre à leur demande, quand je n’ai pas assez d’un tissu upcyclé, quand je n’ai plus de perles d’une certaine couleur, etc. Les acheteur·se·s comprennent très bien notre démarche et ne nous en veulent pas de ne pas avoir assez de matières premières. Je pense que c’est une erreur en tant que designer que de dire oui à tout par peur de manquer une opportunité.
Les acheteur·se·s comprennent très bien notre démarche et ne nous en veulent pas de ne pas avoir assez de matières premières.
En plus de l’upcycling, Germanier défend aussi une mode à taille humaine, des pièces faites à la main, un projet social. Est-il facile de gérer une marque qui jongle avec tous ces combats ?
Effectivement, notre travail chez Germanier va au-delà de l’upcycling. La marque est aussi très centrée sur des valeurs sociales. En Suisse, notre atelier est composé de 12 tricoteuses en situation de difficulté et qui ont besoin d’une aide à la réinsertion.
Le savoir-faire est extrêmement important pour nous. Même si elle a des petits défauts, une pièce faite main par ma grand-mère n’a absolument rien à voir avec une pièce similaire créée par une machine.
Je ne pense pas qu’on doive choisir un combat. En tous cas, ce n’est pas comme ça que j’ai fondé la marque. Si les valeurs sont authentiques, elles s’intègrent naturellement dans le travail sans poser de problème. L’authenticité est aussi ressentie par les client·e·s. Nos messages passent très clairement et ils sont compris.
Dans cet article, retrouvez les autres marques éthiques qui s’invitent à la fashion week