La fourrure est toujours visible sur les podiums et le débat sur le caractère acceptable ou non de cette pratique revient chaque saison. Les actions coups de poing sont aussi fréquentes. En février 2024, lors de la fashion week de Milan, des activistes de PETA ont perturbé les défilés de Fendi et de Max Mara pour dénoncer une pratique jugée cruelle. Pour une marque, utiliser la fourrure est désormais un choix risqué en termes d’image mais aussi complexe en termes de droits et de traçabilité. Pour éclaircir le débat en cours, faisons le point : comment est produite la fourrure, où, dans quelles circonstances ? Quelles lois encadrent sa production et sa vente partout dans le monde ?
Un constat positif d’abord : chaque année, de plus en plus de marques décident d’abandonner l’utilisation de la fourrure dans leurs collections, motivées à la fois par des considérations éthiques et par la nécessité de protéger leur image de marque et leur communication. La sensibilisation croissante du public aux questions de bien-être animal pousse les marques à reconsidérer leurs pratiques. L’utilisation de la fourrure est de plus en plus considérée comme une vieillerie. “Pharrell Williams a présenté une collection qui n’a sa place que dans un musée d’histoire“, a notamment déclaré Tracy Reiman, vice-présidente exécutive de PETA États-Unis, au sujet de la collection Printemps/Été 2024 du créateur, avant d’ajouter “j’espère que son passage chez Louis Vuitton sera aussi éphémère que la vie des animaux qui souffrent de son horrible sens de la mode”. De quoi convaincre la maison d’abandonner la fourrure ? Dernièrement, c’est le groupe Aeffe, propriétaire notamment de Moschino, qui a rejoint des géants du groupe Kering mais aussi Dolce & Gabbana, Gucci, Versace, Armani, Michael Kors ou Jimmy Choo dans le refus des peaux animales.
L’UE et la Chine sont les deux plus grands producteurs de fourrures neuves.
Les préoccupations concernant le bien-être animal sont aujourd’hui quasiment universelles. Les critiques portant sur les conditions d’élevage et le fait même de tuer des animaux pour leurs peaux uniquement sont fréquentes. Assommoirs, dépeçage, mutilations à vif, les élevages sont si souvent décriés qu’il n’est pas nécessaire d’en faire un tableau ici. L’Union européenne est le deuxième producteur mondial de fourrure, derrière la Chine. En 2021, les exportations de fourrure de l’UE représentaient 107,8 millions d’euros. Néanmoins, la production de fourrure dans l’UE est déjà en forte baisse. Selon la Fur Free Alliance, la production de fourrure de vison représentait 18 millions de peaux en 2020 dans l’Union européenne, contre 7,5 millions en 2022. Il en va de même pour la fourrure de renard, avec 700 000 peaux produites en 2022, contre 1,2 million en 2020. La Chine, premier producteur mondial, voit aussi sa production décliner. Le Canada est également bien placé dans la liste des premiers fournisseurs mondiaux.
Néanmoins, l’origine de la fourrure est opaque. La traçabilité est difficile dans le cas de la fourrure puisqu’elle n’est à ce jour pas labellisée. Il est ainsi quasi-impossible d’en connaître la provenance, le type, la qualité, les teintures. Les marques se contentent de renseigner la mention “Imported”.
Quasi partout dans le monde, des lois encadrent la production voire la consommation de fourrures
Toutes les régions du monde ou presque ont des lois qui encadrent la fourrure. Néanmoins, aucune législation ne ressemble à celle du voisin. Les réglementations sur la fourrure sont un véritable micmac duquel il est difficile de tirer une logique. L’UE concentre néanmoins une grande densité de textes à la fois pour chaque pays, et à l’échelle de l’union, notamment, l’interdiction des pièges du type mâchoires en acier permettant la capture (cependant rien n’empêche l’import et la vente en France de fourrures attrapées par le biais de ces dispositifs). Depuis fin 2023, le Parlement européen examine une pétition demandant l’interdiction de la fourrure. Cette initiative citoyenne a recueilli plus de 1,5 million de signatures dans 18 États membres. L’agenda de l’union semble toutefois repousser toute décision à 2026.
Hors et dans l’UE, plusieurs pays interdisent l’élevage déstiné à la fourrure
C’est le cas de l’Autriche, de la Belgique, de la Bosnie-Herzégovine, de la Bulgarie, de la Croatie, de l’Estonie, de l’Italie, du Japon, du Luxembourg, de la Norvège, de la République d’Irlande, de la République de Macédoine, de la République Tchèque, du Royaume-Uni, de la Serbie, de la Slovaquie et de la Slovénie. Le Danemark n’interdit que l’élevage de renards. L’Espagne interdit la construction de nouveaux élevages de visons à fourrure. En France, l’élevage de visons pour la fourrure est prohibé. Les Pays-Bas vont plus loin en interdisant l’élevage de vison, de renard et de chinchillas. En Hongrie, seuls les chinchillas et les lapins peuvent être élevés pour leur fourrure.
Certaines régions interdisent même l’importation et la vente de fourrures
Plusieurs villes américaines comme Los Angeles ou San Francisco interdisent la vente de fourrure. C’est aussi le cas de la Californie qui n’autorise depuis 2023 que la vente de fourrure de seconde main. En Inde, certaines fourrures sont interdites : le phoque (aussi interdit en UE), le chinchilla, le vison et le renard. Israël prohibe la vente de n’importe quelle fourrure. La proposition a reçu un soutien massif de la part des Israélien·nes (86 %) lorsqu’elle est entrée en vigueur. Au Brésil, seule la ville de São Paulo interdit la fourrure, mais toutes sont exclues sans exception. De leur côté, les Suisses voteront bientôt pour peut-être interdire les importations de fourrure. L’association à l’origine de cette initiative, l’Alliance Animale Suisse, dénonce des méthodes d’élevage et de mise à mort qui contreviennent clairement à la législation suisse sur la protection des animaux et seraient considérées comme de la cruauté, passibles en Suisse de sanctions pénales. Selon elle, 350 tonnes de fourrure sont importées chaque année dans le pays, ce qui correspond à l’abattage d’environ 1,5 million d’animaux.
Quelle solution privilégier alors ? Fourrure vintage ou fourrure synthétique ?
La fausse fourrure est principalement dérivée du pétrole. Sa production nécessite une quantité importante de matière première, équivalente à plusieurs barils par manteau. Contrairement à la fourrure naturelle, elle n’est pas biodégradable et libère des microfibres plastiques lors de sa fabrication et de son entretien. L’acrylique, matière plastique couramment utilisée dans les textiles synthétiques, est issue du cyanure vinylique, un composé potentiellement nocif pour la santé humaine. Ces substances peuvent être absorbées par l’organisme par contact cutané, inhalation ou ingestion. De plus, le recyclage des fausses fourrures est un défi technique encore irrésolu. Ces fibres plastiques trop fines et de trop faible qualité sont aujourd’hui impossible à réutiliser.
La fourrure de seconde main a un atout majeur : sa durabilité dans le temps
Sans accident particulier, même après plusieurs décennies, elle ne perd pas ni sa qualité, ni sa douceur, ni son pouvoir isolant. Pour Louis Gagné, directeur d’Écofaune Boréale, un centre en innovation éco responsable spécialisé sur le cuir et la fourrure, la fourrure vintage est largement préférable à la fourrure synthétique : “pourquoi ferais-je entrer sur le marché un nouveau produit fait d’un matériel synthétique qui a demandé de l’énergie souvent polluante, alors que j’ai devant moi un manteau qui existe déjà?” Peut-on espérer voir émerger une filière de la fourrure circulaire ? L’enjeu est principalement lié au sourcing. Difficile de trouver des fourrures de seconde main ou des chutes à recycler. L’upcycling est également compliqué. La nature des fourrures limite, le plus souvent, au down-cyclage.