Vote de la loi “anti-fast fashion” au Sénat : quels sont les enjeux ? Entretien avec Anne-Cécile Violland  

article réservé aux abonnés

Nous y sommes : la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile sera étudiée et votée au Sénat le 26 mars 2025. Le texte, voté par les députés dans la première moitié de 2024 était à l’arrêt depuis plusieurs mois, à seulement quelques mètres de la ligne d’arrivée, coincé dans les couloirs de la navette parlementaire française suite, notamment, à la dissolution de l’Assemblée nationale. Alors que le projet reprend vie, quels sont les enjeux de ce passage au Sénat ? Nous en avons parlé avec la députée Anne-Cécile Violland, à l’origine de la proposition de loi.

À quoi peut-on s’attendre au Sénat ? La proposition de loi risque-t-elle d’être détricotée, et si oui, par quel côté ? 

Anne-Cécile Violland : Je n’ai pas encore eu d’entretien avec la rapporteure. Je ne sais donc pas comment le texte a été travaillé. Cependant, je fais entièrement confiance aux sénateurs pour comprendre les enjeux de cette proposition de loi, notamment en matière de souveraineté économique et de notre industrie textile française. Le premier objectif de cette loi est de répondre à une question environnementale, mais nous avons aussi dans le viseur la question de permettre aux consommateurs de mieux consommer, et, à travers la boucle vertueuse de la pénalité et du bonus, de pouvoir renforcer notre économie locale.

Quels sont les indicateurs qui vous rendent optimiste ?

Tous les indicateurs sont au vert. Tout le monde, des filières aux fédérations en passant par les parlementaires et tout l’écosystème textile a poussé dans le même sens sur ce texte. Je suis convaincue que sans la dissolution et la censure, ce texte aurait été inscrit au Sénat bien en amont puisque le Président du Sénat, le président de la commission et la plupart des sénateurs y étaient favorables. Tout ceci me semble plutôt encourageant.

L’équilibre politique du Sénat est différent de celui de l’Assemblée. Pensez-vous que cette différence peut jouer sur la façon dont le texte sera traité au palais du Luxembourg ?

Effectivement, la droite tient plus de place au Sénat. Lorsque nous avons étudié la loi en mars dernier, la droite et l’extrême droite ont beaucoup amendé sur le fait d’inscrire dans la loi la définition des seuils, pour rendre la loi moins contraignante, sur les pénalités et l’interdiction de la publicité. Je serai vigilante sur ces points au Sénat. Mes lignes rouges sont claires : l’obligation d’information, le processus de pénalités/bonus, et l’interdiction de la publicité ne sont pas négociables. Il en est de même pour le fait de définir la fast fashion par décret et non dans la loi compte tenu de l’agilité de ces entreprises, de manière à ce que nous puissions rester agiles et réagir si toutefois elles arrivaient à contourner la définition.

“Mes lignes rouges sont claires : l’obligation d’information, le processus de pénalités/bonus, et l’interdiction de la publicité ne sont pas négociables.”

Quels défis avez-vous rencontrés jusqu’à présent dans la promotion de cette proposition de loi ?

Le principal argument que j’entends contre ce projet est celui du pouvoir d’achat. Nous sommes accusés de pénaliser des produits nécessaires aux foyers à moindre revenu. C’est faux. Nous savons que Shein, par exemple, a des clients parmi les CSP+.
La vigilance est d’autant plus importante désormais que j’écoute ce que disent les marques comme Shein (et notamment Christophe Castaner) qui nous accusent d’avoir créé une TVA sur des produits populaires. C’est une aberration absolue. Il ne s’agit en aucun cas d’une TVA mais d’une pénalité. La distinction est importante : une TVA est collectée par l’Etat et n’est pas fléchée sur un investissement ultérieur. Une pénalité est, au contraire, fléchée, prélevée dans ce cas par Refashion, et redistribuée dans le circuit de la réutilisation, du réemploi, du tri et du traitement des déchets.

Comment contrer ces arguments et éviter que la loi ne soit attaquée et négativement impactée par les lobbies ?

Il faut animer le débat avec des arguments rationnels et informer les consommateurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en deux décennies, le panier moyen des Français est passé à 48 nouveaux vêtements par an, à un coût moindre, ce qui pose des questions sur la durabilité des vêtements. Il faut aussi mobiliser les études sur la toxicité des vêtements et les risques sanitaires qu’entraîne la consommation de vêtements de mauvaise qualité. On parle de risques d’allergies, de perturbateurs endocriniens, mais aussi désormais de risques de cancer. Un travail est nécessaire pour compiler toutes les études qui portent sur la toxicité des vêtements.

Avez-vous identifié des améliorations potentielles dans ce texte ?

Après le vote de la loi à l’Assemblée, nous avons remarqué qu’il y avait un sujet de seconde main que nous n’avions pas tout à fait pris en compte. Nous avons constaté une augmentation des articles de la marque Shein sur des plateformes comme Vinted. C’est une discussion que nous devrons avoir avec les sénateurs. Il s’agit de s’assurer que ces produits mis à la vente en seconde main ont bien été pénalisés au moment de leur production.
C’est un sujet de fond : faut-il aller jusqu’à envisager interdire la seconde main sur des produits Shein, Temu, ou fabriqués de cette manière ?  Je me suis récemment rapproché de plusieurs acteurs de l’industrie textile afin de les entendre et de faire en sorte qu’ils soient force de proposition à ce sujet.

“C’est un sujet de fond : faut-il aller jusqu’à envisager interdire la seconde main sur des produits Shein, Temu, ou fabriqués de cette manière ?”

Sur la publicité, nous n’avions pas non plus eu le temps de creuser tous les canaux possibles. A l’époque par exemple, il n’y avait pas de spots télévisés. Le premier post d’une marque d’ultra fast-fashion chinoise à la télé a été diffusé la semaine où nous avons voté le texte à l’Assemblée.

La dissolution et l’élection de nouveaux députés a modifié la composition et l’équilibre politique de l’Assemblée nationale. Le consensus existe-t-il toujours sur ce texte, comme c’était le cas lors du vote en 2024 ?

Je crois beaucoup au travail transpartisan qui a été fait en amont. Nous avons tous fait un choix raisonné, de l’extrême droite à l’extrême gauche, pour trouver un point d’atterrissage sur ce texte. Tout le monde a su remettre en question ses revendications pour parvenir à un accord. Je suis toujours confiante sur la possibilité de parvenir à un accord et je sais que je pourrai m’appuyer sur des gens dans chaque groupe pour pouvoir avancer dans ce sens.

Quel regard portez-vous sur l’affichage environnemental pour lequel une consultation publique s’est terminée en décembre 2024, et qui pourrait être déployée prochainement ?

L’affichage environnemental sur les vêtements est un plus bienvenu qui nourrit notre réflexion sur notre proposition de loi. C’est une méthodologie scientifique et rationnelle, travaillée depuis des années, qui s’inscrit dans la continuité de nos travaux.

Après cette loi, quels sont les prochains sujets sur lesquels vous prévoyez de travailler pour continuer de faire évoluer le secteur de la mode et du textile ?

Le prochain défi sera de travailler sur l’aspect social, sanitaire et les conditions de travail des personnes qui fabriquent ces vêtements.  Ces enjeux n’ont pas pu être traités dans le texte dont nous discutons aujourd’hui puisqu’il se concentre sur les questions environnementales, mais le sujet doit évidemment être pris en main. Ces travaux pourront aboutir à une prochaine loi.

Sur la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, il est évident qu’il faut travailler avec l’Europe pour une harmonisation à l’échelle de l’Union. La France a été précurseur sur certains sujets environnementaux, notamment à travers la REP, et nous pouvons continuer à être novateurs sur ces questions. J’ai été sollicitée par un nombre impressionnant de médias internationaux qui s’intéressent à notre proposition de loi. Le fait est que la réalité à laquelle elle s’attaque touche tout le monde : d’un point de vue économique comme environnemental, tous les pays sont concernés et pollués par cette industrie. Je suis confiante sur le fait qu’on puisse avancer ensemble avec l’Europe.

Nous y sommes : la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile sera étudiée et votée au Sénat le 26 mars 2025. Le texte, voté par les députés dans la première moitié de 2024 était à l’arrêt depuis plusieurs mois, à seulement quelques mètres de la ligne d’arrivée, coincé dans les couloirs de la navette parlementaire française suite, notamment, à la dissolution de l’Assemblée nationale. Alors que le projet reprend vie, quels sont les enjeux de ce passage au Sénat ? Nous en avons parlé avec la députée Anne-Cécile Violland, à l’origine de la proposition de loi.

À quoi peut-on s’attendre au Sénat ? La proposition de loi risque-t-elle d’être détricotée, et si oui, par quel côté ? 

Anne-Cécile Violland : Je n’ai pas encore eu d’entretien avec la rapporteure. Je ne sais donc pas comment le texte a été travaillé. Cependant, je fais entièrement confiance aux sénateurs pour comprendre les enjeux de cette proposition de loi, notamment en matière de souveraineté économique et de notre industrie textile française. Le premier objectif de cette loi est de répondre à une question environnementale, mais nous avons aussi dans le viseur la question de permettre aux consommateurs de mieux consommer, et, à travers la boucle vertueuse de la pénalité et du bonus, de pouvoir renforcer notre économie locale.

Quels sont les indicateurs qui vous rendent optimiste ?

Tous les indicateurs sont au vert. Tout le monde, des filières aux fédérations en passant par les parlementaires et tout l’écosystème textile a poussé dans le même sens sur ce texte. Je suis convaincue que sans la dissolution et la censure, ce texte aurait été inscrit au Sénat bien en amont puisque le Président du Sénat, le président de la commission et la plupart des sénateurs y étaient favorables. Tout ceci me semble plutôt encourageant.

L’équilibre politique du Sénat est différent de celui de l’Assemblée. Pensez-vous que cette différence peut jouer sur la façon dont le texte sera traité au palais du Luxembourg ?

Effectivement, la droite tient plus de place au Sénat. Lorsque nous avons étudié la loi en mars dernier, la droite et l’extrême droite ont beaucoup amendé sur le fait d’inscrire dans la loi la définition des seuils, pour rendre la loi moins contraignante, sur les pénalités et l’interdiction de la publicité. Je serai vigilante sur ces points au Sénat. Mes lignes rouges sont claires : l’obligation d’information, le processus de pénalités/bonus, et l’interdiction de la publicité ne sont pas négociables. Il en est de même pour le fait de définir la fast fashion par décret et non dans la loi compte tenu de l’agilité de ces entreprises, de manière à ce que nous puissions rester agiles et réagir si toutefois elles arrivaient à contourner la définition.

“Mes lignes rouges sont claires : l’obligation d’information, le processus de pénalités/bonus, et l’interdiction de la publicité ne sont pas négociables.”

Quels défis avez-vous rencontrés jusqu’à présent dans la promotion de cette proposition de loi ?

Le principal argument que j’entends contre ce projet est celui du pouvoir d’achat. Nous sommes accusés de pénaliser des produits nécessaires aux foyers à moindre revenu. C’est faux. Nous savons que Shein, par exemple, a des clients parmi les CSP+.
La vigilance est d’autant plus importante désormais que j’écoute ce que disent les marques comme Shein (et notamment Christophe Castaner) qui nous accusent d’avoir créé une TVA sur des produits populaires. C’est une aberration absolue. Il ne s’agit en aucun cas d’une TVA mais d’une pénalité. La distinction est importante : une TVA est collectée par l’Etat et n’est pas fléchée sur un investissement ultérieur. Une pénalité est, au contraire, fléchée, prélevée dans ce cas par Refashion, et redistribuée dans le circuit de la réutilisation, du réemploi, du tri et du traitement des déchets.

Comment contrer ces arguments et éviter que la loi ne soit attaquée et négativement impactée par les lobbies ?

Il faut animer le débat avec des arguments rationnels et informer les consommateurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en deux décennies, le panier moyen des Français est passé à 48 nouveaux vêtements par an, à un coût moindre, ce qui pose des questions sur la durabilité des vêtements. Il faut aussi mobiliser les études sur la toxicité des vêtements et les risques sanitaires qu’entraîne la consommation de vêtements de mauvaise qualité. On parle de risques d’allergies, de perturbateurs endocriniens, mais aussi désormais de risques de cancer. Un travail est nécessaire pour compiler toutes les études qui portent sur la toxicité des vêtements.

Avez-vous identifié des améliorations potentielles dans ce texte ?

Après le vote de la loi à l’Assemblée, nous avons remarqué qu’il y avait un sujet de seconde main que nous n’avions pas tout à fait pris en compte. Nous avons constaté une augmentation des articles de la marque Shein sur des plateformes comme Vinted. C’est une discussion que nous devrons avoir avec les sénateurs. Il s’agit de s’assurer que ces produits mis à la vente en seconde main ont bien été pénalisés au moment de leur production.
C’est un sujet de fond : faut-il aller jusqu’à envisager interdire la seconde main sur des produits Shein, Temu, ou fabriqués de cette manière ?  Je me suis récemment rapproché de plusieurs acteurs de l’industrie textile afin de les entendre et de faire en sorte qu’ils soient force de proposition à ce sujet.

“C’est un sujet de fond : faut-il aller jusqu’à envisager interdire la seconde main sur des produits Shein, Temu, ou fabriqués de cette manière ?”

Sur la publicité, nous n’avions pas non plus eu le temps de creuser tous les canaux possibles. A l’époque par exemple, il n’y avait pas de spots télévisés. Le premier post d’une marque d’ultra fast-fashion chinoise à la télé a été diffusé la semaine où nous avons voté le texte à l’Assemblée.

La dissolution et l’élection de nouveaux députés a modifié la composition et l’équilibre politique de l’Assemblée nationale. Le consensus existe-t-il toujours sur ce texte, comme c’était le cas lors du vote en 2024 ?

Je crois beaucoup au travail transpartisan qui a été fait en amont. Nous avons tous fait un choix raisonné, de l’extrême droite à l’extrême gauche, pour trouver un point d’atterrissage sur ce texte. Tout le monde a su remettre en question ses revendications pour parvenir à un accord. Je suis toujours confiante sur la possibilité de parvenir à un accord et je sais que je pourrai m’appuyer sur des gens dans chaque groupe pour pouvoir avancer dans ce sens.

Quel regard portez-vous sur l’affichage environnemental pour lequel une consultation publique s’est terminée en décembre 2024, et qui pourrait être déployée prochainement ?

L’affichage environnemental sur les vêtements est un plus bienvenu qui nourrit notre réflexion sur notre proposition de loi. C’est une méthodologie scientifique et rationnelle, travaillée depuis des années, qui s’inscrit dans la continuité de nos travaux.

Après cette loi, quels sont les prochains sujets sur lesquels vous prévoyez de travailler pour continuer de faire évoluer le secteur de la mode et du textile ?

Le prochain défi sera de travailler sur l’aspect social, sanitaire et les conditions de travail des personnes qui fabriquent ces vêtements.  Ces enjeux n’ont pas pu être traités dans le texte dont nous discutons aujourd’hui puisqu’il se concentre sur les questions environnementales, mais le sujet doit évidemment être pris en main. Ces travaux pourront aboutir à une prochaine loi.

Sur la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, il est évident qu’il faut travailler avec l’Europe pour une harmonisation à l’échelle de l’Union. La France a été précurseur sur certains sujets environnementaux, notamment à travers la REP, et nous pouvons continuer à être novateurs sur ces questions. J’ai été sollicitée par un nombre impressionnant de médias internationaux qui s’intéressent à notre proposition de loi. Le fait est que la réalité à laquelle elle s’attaque touche tout le monde : d’un point de vue économique comme environnemental, tous les pays sont concernés et pollués par cette industrie. Je suis confiante sur le fait qu’on puisse avancer ensemble avec l’Europe.

Total
0
Shares
Prev
Lois, innovations, projets : ce qui a bougé dans la mode durable en janvier 2025
À lire également

Become a Good One ! Abonnez-vous à nos contenus

Le média payant : accès illimité à tous les articles et OnePagers, réductions sur nos CleverBooks

Total
0
Share