Peut-on avoir confiance en les Initiatives « conscious » des grandes enseignes ?

Comment on lave nos cerveaux à la lessive bio. #réflexion  

Un article qui tranche, une fois n’est pas coutume. Parce qu’on souhaite rendre virales des bonnes pratiques qu’on considère vitales, et parce que malheureusement les efforts des marques engagées sont souvent sapés par la communication massive des géants qui polluent. Si l’on s’attache à célébrer habituellement les innovations positives et la belle création, il nous arrive aussi de forcer la plume pour dénoncer les abus qui freinent le changement : les soldes, le blackfriday, l’hyperconsumérisme des fêtes de fins d’années… Cette fois-ci, c’est d’ailleurs vous qui nous l’avez demandé ! Cet article ouvre une série de réponses aux questions que vous nous avez soumises lors d’un appel sur Instagram.

On commence avec une interrogation récurrente :

“Peut-on avoir confiance en les initiatives « Conscious »  des grandes enseignes ?” Plus particulièrement celles du groupe H&M.

Nous nous sommes efforcés ici de laisser l’humeur de côté pour mieux transmettre les faits, vous apprendre à déjouer les stratèges du greenwashing. Il est important d’inclure tous les niveaux de conscience et tous les portefeuilles sur le chemin de l’éthique, afin d’une part de ne pas fustiger celles et ceux qui ont recourt à des prix cassés par nécessité économique (même si Renaud a bossé sur les alternatives !) d’autre part de vous faire comprendre que le green ou le non green n’est pas un on/off et ne dépend pas d’un label ou de la seule déclaration de marque sur ses initiatives. En résumé : l’effort d’information doit être constant. C’est bien pour ça qu’on a créé ce média !

La face cachée de l’Iceberg

Les initiatives « Conscious » des enseignes de fast-fashion servent principalement à deux choses :

1) Détourner

La plupart du temps, on peut avoir confiance dans le fait que la marque procède réellement à ce qu’elle annonce. Par exemple, quand la marque H&M annonce collecter des vêtements à recycler, produire une série de T-shirts en coton biologique, redistribuer une partie de ses bénéfices à une œuvre caritative, elle le fait réellement. Le problème c’est que généralement ces actions représentent un pourcentage infime du mode de production, mais que la marque focalise sa communication dessus pour créer un biais de perception chez le consommateur. C’est l’une des définitions du green washing. De cette manière vous avez l’impression qu’elle fait globalement bien, ce qui lui permet de détourner l’attention sur ce qui au contraire n’est pas exemplaire.
Il liste par ailleurs de nombreuses manières de majorer ce biais de perception :

  • User de couleurs claires ou d’imprimés proches de ceux que l’on trouve dans la nature,
  • Décrire sa collection comme étant « inspirée par les merveilles de la planète Terre (sic)»,
  • Orner ses magasins physiques de morceaux de pelouses,
  • Lancer une campagne massive : affiches dans le métro, en magasin, flyers, flagship, vidéos etc… de shootings sur toits végétalisés.

En avril dernier, lors de la dernière parution de la collection “Conscious”, l’Autorité norvégienne des consommateurs a d’ailleurs attaqué la marque pour “marketing illégal”  et mésusage du terme “Conscious” visant à troubler les consommateurs.

 

hm conscious illegal marketing campaign

User de couleurs claires ou d’imprimés proches de ceux que l’on trouve dans la nature pour promouvoir une collection “Conscious”, un biais cognitif classique utilisé pour faire du greenwashing.

Consommer

La cause principale de la pollution liée à l’industrie de la mode n’est pas tant la production elle-même que la surproduction. Tant qu’on ne légifèrera pas le volume des produits crées chaque saison/chaque mois/chaque semaine par les enseignes de fast fashion, quelle que soit la quantité de matières naturelles et de packagings compostables, on ne résoudra rien. Or les capsules ou les lignes “Conscious” sont avant tout conçues pour toucher une part de marché de consommateur•rices réticent•es à ces enseignes ou qui sont en train – comme vous sans doute – de s’en détourner.
En l’occurence, dans le cas précis d’H&M, la réduction des volumes de production n’a jamais été l’objet d’une réflexion. La marque répond à ses challengers par un argument antithétique avec son rythme de création : celui qui incite les consommateurs à se responsabiliser pour n’acheter que ce dont ils ont besoin / ce qu’ils aiment réellement / faire durer leurs vêtements… La croissance des points de vente physiques en témoigne avec +10 à 15% par an, de même que celle des ventes globales (+0,2% depuis début 2019).

L’effort d’humilité

L’éthique, c’est faire avant de parler.

Sébastien Kopp dans notre interview de Veja il y a deux ans.

Du fait de sa présence mondiale et de budgets colossaux dédiés à la communication, H&M est une marque experte en effets d’annonce. « Nous sommes une marque 100% circulaire », est une phrase soutenue par les porte-paroles du développement durable, s’appuyant à nouveau sur une action mineure qui est celle de la collecte de vêtements H&M anciens. Là encore, l’action concrète en boutique masque l’inertie des réelles modifications dans la production. Si la marque incite ses clients à rapporter leur vêtements contre un bon d’achat, c’est pour s’assurer du renouveau de leur consommation, plus que pour développer un modèle économique circulaire. En effet, pour ce faire, il faudrait que 100% des vêtements produits le soient à partir de textiles et vêtements recyclés, ce qui n’est le cas d’aucune pièce jusqu’ici. Cet objectif est promis pour 2030. Les chiffres actuellement communiqués sur l’emploi de matières « durables et recyclées » sont de 26%.

Autre amalgame : les « Matières durables et recyclées » ne sont pas des synonymes de circularité : un produit conçu à partir de fibres recyclées n’est pas circulaire s’il sort de la boucle du réusage ou de celle du recyclage une fois utilisé. Les matières « durables » ne désignent aucune entité textile. Le cuir est durable, le polyester est (sacrément !!) durable, la soie est plus fragile et moins durable que la rayonne, mais moins polluante à produire. Ce qui importe, c’est de gérer les ressources durablement. Si nous connaissons les chiffres relatifs au coton pour le groupe (le coton certifié biologique dont l’enseigne serait l’un des plus importants utilisateurs mondiaux, la Better Coton Initiative qui défend une culture raisonnée avec moins d’eau/de pesticides, et l’emploi de coton recyclé), le sourcing des autres matières est plus opaque.
Par ailleurs, ce qui rend durable un vêtement, c’est sa qualité, le soin porté à son entretien et l’amour qu’on lui donne qui nous donne envie de le conserver longtemps comme une pièce d’exception… Trois critères rarement remplis par une pièce de cette enseigne.

« Nous souhaitons développer le cuir de raisin et le cuir de champignon dans nos collections » est également une intention délivrée à la presse en 2018. À l’heure actuelle, trois ressources dites “renouvelables” ont été intégrées à la dernière collection “Conscious” parue en avril 2019 : la peau d’agrumes, les feuilles d’ananas et la biomasse d’algues. Il s’agit de matières à l’emploi ponctuel, en quantité infime, dans un pourcentage mineur d’une collection produite une fois par an. On vous laisse faire le calcul d’engagement.
Sous un autre format, une récente vidéo publiée sur la chaine Youtube du Groupe H&M (dont on ne sait pas si elle est à destination du grand public ou des professionnels) explique la volonté du groupe d’être non seulement acteur de la circularité mais de « mener la voie du changement en inspirant les autres ». L’argumentaire intéresse : le PET recyclé, le nylon recyclé et la collecte de vêtements, afin de « boucler la boucle ».

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Cherry on the (vegan ?) cake !

Lorsqu’on se rend ensuite dans l’onglet « CONSCIOUS » du e-shop, voici ce qu’on trouve : un jean au même prix que ceux qu’une collection classique, en coton bio dont le pourcentage n’est pas précisé, dont les conditions de fabrication ne sont mentionnées nulle part (empreinte carbone et/ou responsabilité sociale). On est donc assez circonspects.

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Est-ce bien Fair ?

Côté engagement social 

Si les campagnes de communication et les interventions dans la presse sont très fréquentes au sujet du sourcing de leurs matières premières, il est plus rare d’obtenir des informations sur les actions de l’entreprise en ce qui concerne ses responsabilités sociales.
Ce qui nous pose un gros problème, c’est encore une fois que le rythme des collections aille croissant depuis les premières initiatives “Conscious” tandis que le prix des vêtements stagne voire décroît. Par ailleurs, les soldes sont toujours aussi fréquentes et intenses. L’ensemble laisse fort à penser que la marque réalise des marges intéressantes malgré des prix cassés : soit elle est devenue altruiste et accepte de diminuer ses profits pour payer mieux ses employés, soit les employés sont toujours sous-payés.

H&M est l’acheteur majoritaire d’habillement du Bangladesh, deuxième plus gros exportateur textile du monde et l’un des pays à la main d’œuvre la moins chère (cf ci-dessous). Depuis le drame du Rana Plaza, la marque se présente comme un interlocuteur actif entre les fournisseurs, les syndicats/associations non gouvernementales telles que la Better Factories et l’Organisation Internationale du Travail, et le gouvernements, fournisseurs). Elle explique également avoir développé des outils d’auto-évaluation, une sorte d’audit interne de ses pratiques. Là encore, on avoue avoir un peu de mal à envisager l’efficience d’un juge qui serait aussi partie, surtout quand la cadence et les tarifs sont stables.

 

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Côté engagement écologique 

Deux articles publiés respectivement par EcoWatch en 2018 et China Daily en 2017 font état des mesures environnementales prises par le gouvernement chinois (notamment une taxe supplémentaire à l’export) à Xintang, capitale mondiale du jean, pour améliorer significativement la qualité de l’eau et le traitement des polluants chimiques avant le relarguage des eaux. H&M s’est armé du soutien du WWF pour définir et atteindre des objectifs d’économie, de traitement et de redistribution plus équitable des eaux usées, lui permettant d’être qualifiée de Green Leader de la campagne detox menée par Greenpeace en 2011 et toujours relativement bien classé dans le rapport d’évaluation de 2018, 7 ans plus tard. Cela concerne notamment : la restriction de produits toxiques et l’interdiction du PFC, la révélation de 50 à 80% de ses données annuelles et de la liste de ses fournisseurs.

Pour aller plus loin au sujet de la pollution de l’eau

La marque présente indéniablement une volonté de progrès dans l’exercice sa responsabilité. Mais l’écart reste majeur entre les annonces et les résultats visibles ou communiqués dans son rapport développement durable. La transformation profonde de l’ensemble de la production (diminution des rythmes, engagements concrets dans la circularité, relocalisation, emploi de matières et teintures non toxiques etc) est nécessaire pour associer à la marque la notion de “Conscious” sans sourciller. Le fait même que cet adjectif soit requis démontre à lui seul le caractère anti-conscious du reste de ses pratiques. Vous remarquerez que cette appellation n’est jamais nécessaire chez les marques profondément éthiques.

Cette démonstration à l’échelle d’une marque comme H&M est à prendre comme un signe positif supplémentaire, en faveur du changement. Cependant, ne soyons pas dupes. Il faut modifier en profondeur notre habitudes d’achat, intégrer que la mode actuelle est toxique comme le tabac, ce qui a pourtant pris des dizaines d’années à nous être révélé.
Cette toxicité est d’autant plus grave qu’elle n’est pas individuelle mais éco-systémique : elle concerne les hommes, la biodiversité et donc notre survie. Restez hyper vigilants, exigez des informations en entrant en contact avec des sources d’informations comme nous ou directement avec la marque, dénoncez les campagnes abusives et dans l’idéal, boycottez ces marques jusqu’à ce qu’un encadrement législatif assure qu’elles respectent leur engagements et les appliquent à l’ensemble de la chaine de production.

Une des questions associées à celle-ci était : « J’ai craqué pour une pièce de fast-fashion et ça m’arrive de temps en temps, est-ce grave ? » Ces mesures – assez radicales – sont des phares pour guider vos achats. Vous êtes ici : vous avez fait le premier pas, car s’informer c’est déjà agir. Quel quel soit votre degré de conscience, ne culpabilisez pas. La mode est une discipline que l’on doit célébrer, à vous de réfléchir avant de consommer. Si cette pièce de fast fashion est un RÉEL coup de cœur, c’est à vous de la rendre durable en la chérissant ces 10 prochaines années… Challenge accepted ?

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