Dans le tome 1 de cette saga, nous avons vu que Le Relais, fédéré par Emmaüs France, collecte 55% des dons de vêtements sur notre territoire. 15% du total collecté est envoyé sur le continent africain où il est revalorisé de la même façon : revendu s’il est en bon état, transformé en matériel isolant pour l’indutrie du bâtiment, en combustible ou – pour une portion inférieure à 0,4% – détruit. Mais y’a t’il en Afrique un engouement identique pour la seconde main, une culture, une esthétique de la fripe ? Et comment est structuré ce marché ?
Article écrit à 4 mains par le collectif Maïbujé et The Good Goods
Dépassons les clichés des relations France – Afrique
On pourrait voir dans ce partenariat France-Afrique une forme de néo-colonialisme, dans laquelle notre pays fait d’un continent le réceptacle de ses textiles dévalorisés, revendus pour son propre compte. Si Le Relais a développé son réseau sur place, c’est précisément pour contrer un marché officieux dont les recettes passent “de la main à la main” et n’irriguent pas l’économie locale.
Le système de collecte diffère mais les vêtements ne sont pas triés en amont à destination spécifique de l’Afrique : il s’agit bien de 15% du montant global des collectes de l’hexagone qui y est envoyé. Une fois receptionnés par les centres, ces vêtements suivent exactement le même cheminement que leurs homologues français. Le Relais emploie, sur place une fois encore, des femmes et des hommes en situation précaire selon le principe d’insertion sociale par l’emploi : ces personnel.les sont formés pour une durée de deux ans, puis accompagnés dans leur recherche d’emploi stable au décours, une qualification en poche.
La revente des pièces en friperies alimente le fonctionnement des centres locaux, qui sont alors autonomes.
La fripe en Afrique, entre esthétique et identité
Magreb, Afrique de l’ouest, République Démocratique du Congo : le continent africain semble présenter une culture et une esthétique de la seconde main qui précède de loin notre engouement occidental pour ce mode de consommation. Dans certains pays, la seconde main supplante le neuf, représentant plus de 60% des achats vestimentaires. Les raisons à cela sont multiples :
- Economiques : accessibilité à des pièces de qualité à moindre coût ;
- Stylistiques : une capacité à se distinguer par la possession d’une pièce unique qui donnera du caractère à son/sa propriétaire et sera jalousée ;
- De compétition internationale : l’importation massive de seconde main est un pied-de-nez aux vêtements neufs provenant de Chine. Du fait de la mondialisation et de la libéralisation du commerce (une autre histoire racontée ici par Majdouline Sbaï), l’industrie textile et vestimentaire locale aurait perdu plus des ¾ de sa capacité entre 1975 et le début des années 2000 ;
- De ressources : l’Afrique est un grand producteur de coton. Cependant la mondialisation a également heurté les infrastructures locales qui transforment cette matière première (filature, teinture, tissage, assemblage), majoritairement exportée à l’étranger pour ces étapes. Il en est de même pour la confection vestimentaire. Ainsi peu de vêtements made-by-Africa sont vendus sur place ;
- Historiques : si nous sommes loin d’être spécialistes, nous ne sommes pas moins fascinés par l’histoire et le style des sapeurs congolais. Au delà de l’apparence plaisante d’une silhouette soignée et colorée, il s’agit là d’une marque d’insoumission voire de transgression médiée par le vêtement. “Sortir ses griffes” est une expression courante de la “sapologie”. Dans les années 1920, les autorités coloniales belges ou françaises étaient autorisées à effectuer des contrôles policiers pour “délit d’accoutrement”. En contexte post-colonial, les sapeurs immigrés en Europe aiment ne pas se faire discrets. La longue histoire de la SAPE (Societé des Ambianceurs et des Personnes Elégantes), de la colonisation aux migrations (XIXe-XXe siècles) est à retrouver ici.
Regonfler une industrie textile et vestimentaire locale et autonome
Les pays d’Afrique de l’Est & Centrale ont la volonté d’être des acteurs majeurs de la production et du commerce local du coton et des produits dérivés dans les secteurs du textile, de l’accessoire et l’habillement. Le potentiel économique représenté par ces activités est estimé à 3 milliards de dollars d’ici à 2025, comme le précise le rapport du travail des dirigeants de la zone EAC (Communauté d’Afrique de L’Est/East African Community).
Côté ressources naturelles et matières premières, l’Afrique dispose d’un réel atout. Elle représente 10% de la production mondiale d’un coton de belle qualité, récolté à la main. Le Mali par exemple, fort de ses 725 000 tonnes de coton produites en 2017, arrive au premier rang des producteurs, suivi du Burkina Faso dont la production avoisine les 700 000 tonnes.
La structuration d’une chaine de valeur qui comprendrait toutes les étapes de transformation d’un produit, de la culture de sa matière première à ses finitions, est une des clefs d’indépendance textile du continent. Dès lors, les partenaires commerciaux peuvent-être internationaux et se reposer sur cette même chaine, dont les profits sont partagés. C’est le cas de marques telles que Panafrica Shoes ou de collectifs de marques représentants l’industrie vestimentaire africaine en France, comme Maibujé.
Maibujé fédère les marques & créateurs indépendants africains afin de leur donner plus de poids sur la scène française et prévenir l’appropriation culturelle. Sa mission ne s’arrête pas là, Rahila la fondatrice est également engagée pour une mode éthique, éco-responsable et respectueuse de l’artisanat. Elle choisit les partenaires de Maibujé selon ces critères.
Pour sa dernière collab, Maibujé s’est associé à Zeu P, une friperie nomade qui milite pour une «re-industrie», fondée par Nafoore Qâa, sénégalais expert chineur ! Maibujé présente une définition de la mode responsable qui conclut bien ce que l’on veut transmettre à travers cet article : de l’Afrique à la France, un fonctionnement solidaire #GloCal, circulaire, ayant un impact environnemental et humain sur les collectivités locales tout en respectant la planète.
Holy Sape : Amen to vintage ! Une histoire de Maibujé en collaboration avec Zeu P
Dans le dernier volet, on s’interroge sur le rapport qu’ont les marques de mode à la seconde main : revente en ligne, blockchain, bons d’achats contre d’anciens vêtements en magasins… Vont-elles toutes devoir s’y mettre et si oui, par quels moyens ?
Suite au prochain épisode, par ici !