Novembre 2019, le vice-président d’Amazon Fashion John Boumphrey déclarait au magazine Lifestyle ES [1] placer la sustainability au cœur des préoccupations du groupe, notamment sur le secteur du denim. Une semaine avant, The Wall Street Journal [2] révélait que de nombreuses marques revendues sur Amazon.com produisent au Bangladesh dans des usines interdites d’exercice pour non conformité. Ces usines ont été blacklistées par les grands noms de la fast-fashion eux-mêmes (Gap, Walmart) depuis après l’accident du Rana Plaza. Flagrant délit de greenwashing ? Dans la galette de l’info, on a trouvé la fève.
Amazon a fait l’objet d’un scandale dans le Wall Street Journal pour l’insalubrité de ses bâtiments
Le 23 octobre 2019, The Wall Street Journal publie un reportage vidéo et un article expliquant que les usines de Dhaka (Bangladesh) considérées non conformes pour leurs conditions sanitaires et de sécurité sont encore en activité et au service indirect d’Amazon [2]. Ces usines ont été officiellement blacklistées sur l’honneur par des marques géantes telles Walmart ou Gap après l’effondrement du Rana Plaza en 2013. Elles sont aujourd’hui des sites officiels de production de produits vendus sur Amazon.com. Des robes pour enfants, des sweaters, des pantalons, autant de pièces massivement produites et disponibles sur la market place américaine dont l’activité est passée devant celle des ventes en ligne du géant Walmart, leader historique du pays.
Une autre étude parue dans The Wall Street Journal en Août la même année[3] révélait une liste de milliers de produits vendus par Amazon considérés « dangereux », « aux compositions suspectes ou mal renseignées » voire théoriquement bannis par les régulateurs. Le groupe avait alors affirmé que la responsabilité revenait aux marques fabriquant ou sous-traitant la fabrication de ces objets. L’article du Wall Street Journal est assorti d’une vidéo dans les coulisses des bâtiments insalubres et dangereux, dont les plans de risques ont été établis et sont ignorés par les propriétaires. On y voit également des vues d’avion des cargos et des camions à destination internationale, dont ceux d’Amazon.
CRÉDITS @WALLSTREETJOURNAL
Détourner l’attention, tenir un double discours : leçon de greenwashing
Il faut distinguer la market place d’Amazon qui vend des produits d’êtres marques et la marque Amazon Fashion elle-même qui produit ses propres collections de vêtements. Parmi les nouvelles cordes à son arc, « Destination Denim », le jean par Amazon, sous la vice-présidence de John Boumphrey fort de 9 ans dans la maison. Costume impeccable et langage soutenu, il s’exprime dans Evening Standard, Magazine anglais grand public, expliquant que suite aux demandes croissantes du marché, « La durabilité est pour eux maintenant une priorité ».
Le terme « durabilité » n’est pas précisément définit dans l’article, la déclaration s’arrête une ligne plus tard, après une mention vague de la Better Cotton Initative (dont nous avons soulevé ici les limites chez H&M Conscious) en porte-drapeau.
En revanche, l’article est plutôt spécifique sur l’abondance de l’offre en ligne au lancement :
– 800 types de jeans et 50 marques différentes
– une expérience shopping digitale interactive, dans une boutique berlinoise présentant des avatars de clients sur écrans et simulant un essayage et un défilé au plus proche de la réalité
– Alexa en background délivrant des compliments pour inciter à l’achat…
Que dire du nouveau service Try before you buy d’envoi à domicile avec retour sans frais, ajoutant un peu plus à la dimension jetable de l’infiniment échangeable et à l’addition carbone d’un paquet peu désiré.
Vous avez dit durabilité… ?
CRÉDITS @THEWALLSTREETJOURNAL
Flagrant délit de greenwashing
Ce double discours est une stratégie très habile pour flouer le consommateur : d’un côté, Amazon Fashion verdit son image, de l’autre Amazon groupe ferme les yeux sur les actions des marques qu’il distribue, constituant la vaste majorité de son chiffre d’affaire. On parle de millions d’acteurs sur ce marché.
Le graphique ci-dessous montre l’augmentation depuis 2000 des ventes de produits de marques tiers via Amazon.
CRÉDITS @THEWALLSTREETJOURNAL
Par ailleurs, la market place est un moyen habile pour le groupe de se délester des responsabilités imposées par la Réglementation Internationale du Travail. Amazon est avant tout une market place, pas une marque de vêtements (elle-même loin d’être exemplaire). À ce jour, dans leur règlement interne, il n’existe pas d’obligation pour les marques revendues de présenter la liste de leurs fournisseurs, de leurs sites de fabrication, des matières premières utilisées ou encore des kilomètres parcourus par les vêtements.
Au delà de bafouer les droits du travail et de créer des conditions terrifiantes d’esclavagisme moderne, c’est la façon dont la marque se sort d’affaire qui est dramatique pour notre futur global (de la France au Bangladesh). Il s’agit ici d’un flagrant délit de greenwashing exemplaire : agiter un drapeau vert dans un magazine grand public qui ne vérifie pas les informations délivrées afin de conforter les clients d’Amazon Fashion sur les bonnes actions de la marque, donc améliorer l’image du groupe Amazon et accroître la confiance des consommateurs.
Banaliser des conditions de production inadmissibles et ne jamais remettre en question la première des problématiques : le débit (quantité/rapidité) de vêtements produits pour renouveler une offre hebdomadaire de mauvaise qualité, incitant à consommer sans limite.
Autant pour les vacances de Jeff Bezos qui sera sans nul doute seul à s’offrir la lune [4] quand il aura rendu la terre inhabitable ?
Références
[1] EVENING STANDARD Magazine – Article original Vice President of Amazon Fashion John Boumphrey on sustainability, fashion tech and its newest denim venture
[2] THE WALL STREET JOURNAL – Article original et vidéo embarquée (version payante) Amazon Sells Clothes From Factories Other Retailers Blacklist
[3] THE WALL STREET JOURNAL – Article original (version payante) Amazon Has Ceded Control of Its Site. The Result: Thousands of Banned, Unsafe or Mislabeled Products
[4] LE MONDE – Blue Moon, Le Projet De Jeff Bezos Pour Aller Sur La Lune