On entend parler de “mode circulaire” dans divers contextes, pour décrire toutes sortes d’initiatives présumées responsables. Un exemple récent, lors de la dernière fashion week, chez Balenciaga pour décrire une fourrure en lacets upcyclés ou encore chez Loewe a concernant un sac tissé en cuir recyclé. Bien souvent, lorsqu’il sert davantage le marketing qu’un réel intérêt, on perd le sens premier d’un terme…et ses vertus avec. Cet article vous propose de faire un point sémantique : quelle différence entre circularité, recyclage et upcycling ? De quoi parle-t-on vraiment lorsqu’on évoque la mode circulaire ? D’ailleurs, la mode peut-elle être vraiment circulaire ?
La mode circulaire se bat contre une mode jetable
Selon Dominique Bonet Fernandez, enseignante, chercheuse et membre du Comité d’administration de l’Institut National de l’Économie Circulaire, le concept de circularité peut-être résumé très simplement :“La circularité repose sur l’idée qu’on ne doit rien jeter, que tout doit repartir dans un nouveau circuit. Concrètement, c’est un modèle zéro-déchet.” Elle complète : ‘L’économie classique repose sur un modèle linéaire en 5 étapes : extraire le minerai ; fabriquer un produit ; le vendre ; le consommer ; et enfin le jeter. La vie du produit s’arrête ici. L’économie circulaire s’en différencie puisque la vie du produit est prolongée après qu’il ait été consommé une première fois. Au lieu d’être jeté, le produit entre dans une nouvelle boucle économique. Soit il repart à l’étape 2, en tant que matière première pour la création d’un autre produit, soit il repart à l’étape 3 pour être revendu.” Dans le premier cas, il est question de recyclage. Dans le deuxième, il s’agit de vente de produits d’occasion. La circularité ne concerne donc pas que la réutilisation industrielle des matières. Elle est déjà présente dans des démarches culturellement répandues dans notre quotidien, sans même que nous n’aillions tous et toutes conscience de participer à la circularisation de l’économie.
À quoi ressemble la circularité dans la mode ?
La circularité ne date pas d’hier et n’est pas spécifique à la mode
La circularité peut s’appliquer dans tous les domaines industriels. Dans la mode, elle existe déjà sous plusieurs formes très concrètes. Même s’il reste très marginal, le recyclage est déjà présent dans la mode, y compris chez certains géants de la fast-fashion. L’industrie y a principalement recours pour remplacer l’utilisation de matières synthétiques vierges, comme le polyester. 25 % du polyester utilisé par Nike, Esprit ou encore Gap est déjà issu du recyclage. Des innovations pour permettre le recyclage des matières naturelles existent également. C’est le cas de l’entreprise Manteco qui propose aux maisons de mode une gamme extrêmement étendue de laines recyclées.
La mode progresse dans le bon sens même si toutes les matières ne sont pas encore recyclées dans les mêmes proportions. Le hic se situe plutôt au niveau de la structure industrielle puisque nous n’avons pas encore les moyens techniques pour recycler tout le gisement collecté. La pratique du recyclage textile ne pourra pas être généralisée tant que la filière ne sera pas suffisamment solide.
Les boucles de recyclage fermées et ouvertes
Le recyclage en boucle plus ouverte, moins visible mais tout aussi important, est également très représenté en matière de textiles. Il s’agit ici d’utiliser des vêtements usagés comme matières premières pour la fabrication d’autres produits sans lien direct avec la mode. Dominique Bonet Fernandez fournit un exemple : “Cette forme de recyclage est assez répandue avec les vêtements. Elle sert parfois à donner une deuxième chance à des vêtements qui n’ont pas trouvé preneurs dans la revente de seconde main. L’association Emmaüs, par exemple, redirige les vêtements qu’elle ne parvient pas à vendre à des individus sous cette forme vers des entreprises qui les utilisent pour la fabrication d’isolants pour la construction de logements sociaux.”
© fab-brick
La mode est même en avance sur certaines formes de circularité. Historiquement et économiquement, elle devance la plupart des autres secteurs industriels lorsqu’il est question de la seconde main. Bien avant Le Bon Coin, les vêtements se revendaient déjà dans les friperies, dans les brocantes et se passaient de générations en générations. Récemment, la mode a été à l’origine de nouveaux modèles innovants permettant la vente et l’achat de produits de seconde main et ses innovations digitales comme Vinted ou Vestiaire Collective inspirent.
La circularité est essentielle pour produire une mode réellement responsable
L’éco-conception est cruciale pour une bonne circularité
La mode éco-responsable comme la concevons généralement se base une production de vêtement locale à l’empreinte carbone allégée, à partir de matières mieux sourcées que dans la mode traditionnelle, des fibres naturelles comme le lin, le chanvre, le coton bio dont la culture ne nécessite pas d’engrais, n’engendre pas de pollution majeure. Même si ces démarches sont nobles et méritent d’être encouragées avec ardeur, elles ne peuvent pas résoudre tous les problèmes environnementaux à elles seules. Le principe de circularité leur est complémentaire.
Les matières polluantes limitent la circularité
L’intérêt de la circularité est évident lorsqu’il s’agit de recycler les matières les plus polluantes, notamment les fibres synthétiques issues du pétrole comme le polyester ou l’élasthanne, éviter d’en produire davantage et éviter qu’elles ne soient jetées et ne polluent l’environnement de manière irréversible. Toutefois, toutes les matières méritent d’être intégrées dans une démarche circulaire, même celles qui sont, par nature, plus éco-responsables.
© MUD Jeans
Par exemple, il est bénéfique de réutiliser le lin dans une boucle circulaire afin d’éviter sa production qui, comme toute activité industrielle, consomme de l’énergie et génère une pollution atmosphérique due à l’usage de machines agricoles. Le principe de circularité permet également d’éviter de tomber dans un modèle d’agriculture intensive qui, même si la matière produite n’est pas polluante en soi, pose des problèmes techniques et humains : elle monopolise l’espace, abîme la terre et épuise les agriculteurs.
Le cadre législatif se construit pour imposer plus de circularité dans la mode
Sur le papier, il n’existe pas vraiment de barrière qui empêche les marques de mode de franchir le pas et de basculer vers un modèle plus circulaire. Dominique Bonet Fernandez explique : “L’économie circulaire présente un intérêt économique pour les entreprises puisque les matières premières recyclées peuvent coûter jusqu’à 10 fois moins cher que les matières premières vierges. Il n’y a que du bon dans la circularité, pour l’environnement et pour l’économie.”
Pour l’experte, il s’agit plutôt d’une question de volonté. Les entreprises peinent à refondre leur paradigme et à repenser tout leur business model. En France, le législatif prend les devants et tente, petit à petit, d’imposer un cadre qui devrait pousser, si ce n’est forcer, les entreprises à revoir leurs façons de faire. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, pensée en 2020, prévoit notamment l’interdiction pour les entreprises de détruire les produits invendus d’ici 2025. Il s’agira alors pour les marques de les réinjecter dans d’autres canaux de vente, de les donner, de les upgrader ou de réutiliser les matières pour créer de nouvelles pièces.
Excellent article, Renaud. Bravo! et merci de nous offrir une vision synthétique (sans mauvais jeu de mots!!) et claire d’un enjeu essentiel pour le textile et son avenir. Toujours un plaisir de vous lire!Laurence V, designer textile
Merci à vous Laurence, ces retours sont précieux !